La mort de Gilles Carle laissera un trou immense dans le paysage cinématographique québécois. Depuis l'annonce de sa disparition, personnalités culturelles et politiques multiplient les hommages à ce grand cinéaste à l'imaginaire indomptable.

Gilles Carle, le plus prolifique et sans doute le plus éclaté des pionniers du cinéma québécois, s'est éteint dans la nuit de vendredi à samedi à l'âge de 80 ans, cédant à la maladie qui le minait depuis le début des années 90. Quelques heures après son départ, le gouvernement du Québec a annoncé que des funérailles nationales allaient être célébrées.

Le cinéaste est décédé vers 2h30. Atteint de la maladie de Parkinson, il avait été hospitalisé à la suite d'un infarctus il y a environ un mois. Il souffrait également d'une pneumonie d'aspiration.

«J'étais tellement en colère lorsqu'il est entré à l'hôpital parce que je n'acceptais pas qu'il tombe malade», a confié sa compagne Chloé Sainte-Marie lors d'un entretien avec La Presse. «Je ne voulais pas qu'il parte. Je m'y attendais, mais je croyais encore aux miracles. Je pensais qu'il y avait une façon de le sauver, mais son corps n'était plus capable. Ses muscles ne fonctionnaient plus.»

La chanteuse, qui a mené un combat acharné pour que les aidants naturels reçoivent une aide gouvernementale, venait à peine d'inaugurer la Maison Gilles Carle, le 17 novembre, pour venir en aide aux personnes en perte d'autonomie.

«Je suis contente, je suis fière, parce que c'est autre chose que son oeuvre cinématographique, son oeuvre picturale, son oeuvre littéraire. L'ironie du sort, c'est que la Maison venait d'être prête et que je l'ai faite pour lui. J'imaginais qu'il allait y vivre 10 ans. Je lui dois tout. Même à la fin, notre projet ultime, c'est lui qui en est l'âme, l'image, le symbole.»

«Mon ami, le cinéaste Charles Binamé, m'a dit que Gilles était un homme généreux et qu'en fait, il cède sa place à quelqu'un d'autre.»

Samedi après-midi, le premier ministre du Québec, Jean Charest, et la ministre de la Culture, Christine Saint-Pierre, ont annoncé que des funérailles nationales allaient être célébrées pour rendre un dernier hommage à l'artiste. Les détails des obsèques ne sont toutefois pas encore connus et devraient être annoncés par le gouvernement du Québec sous peu.

Jean Charest, qui était en visite hier à Lyon, la ville des frères Lumière, inventeurs du cinéma, lui a rendu hommage. «C'est un homme qui a transformé le cinéma québécois, a estimé M. Charest. Il a vraiment été le passage vers le cinéma moderne au Québec. Il a fait des films qui étaient identitaires pour nous, des films qui ont beaucoup frappé l'imaginaire des Québécois. (...) On a voulu des funérailles nationales pour souligner cette contribution unique, qui ne survient pas très souvent dans l'histoire d'un peuple.»

«C'est un homme qui avait une cinématographie formidable, il a marqué l'histoire, a pour sa part déclaré la ministre Saint-Pierre. Le Québec est en deuil.»

Tout le week-end, des personnalités du monde politique comme Gilles Duceppe, Gérald Tremblay et Bernard Landry ont pris la parole pour souligner l'apport du cinéaste à la culture québécoise. La mort de Gilles Carles a également provoqué une grande tristesse chez les artistes qui l'ont côtoyé.

Le cinéaste Charles Binamé l'a rencontré au début des années 70 sur le plateau de tournage du film Les mâles. Le dernier scénario de Carle, Mona McGill et son vieux père malade, portant sur la maladie, la vieillesse et la mort, avait par la suite inspiré Binamé à réaliser son documentaire Gilles Carle ou L'indomptable imaginaire.

«Autant Gilles a été absent ces dernières années du paysage cinématographique, autant il a été présent dans ma vie», a-t-il affirmé. «J'ai été scié de voir cet homme garder cette allure de vaisseau amiral devant la maladie, devant la mort inéluctable. Il était admirable.»

La comédienne Micheline Lanctôt, qui a rencontré le cinéaste en 1972 lorsqu'elle a joué dans le film La vraie nature de Bernadette, a affirmé qu'elle garderait un souvenir impérissable de son ami. «C'était un grand esprit. Quelqu'un de provocant, de moderne et d'avant-gardiste. Il était vraiment original et son imaginaire était extrêmement libre. On ne pouvait faire autre chose que d'être impressionnés en sa présence.»

«Il aurait pu faire un long métrage par mois! Il était bourré d'idées. Rien ne l'arrêtait», a ajouté le réalisateur Jean-Claude Labrecque, qui a travaillé avec Gilles Carle principalement dans les années 70. «Il était une source joyeuse extraordinaire, un bouquet en floraison sans arrêt.»

Chloé Sainte-Marie espère que l'oeuvre de Gilles Carle continuera d'inspirer les générations à venir. «Il m'a mis au monde dans tous les sens», a-t-elle expliqué. «Je lui ai volé son sens de la beauté, son savoir, son intelligence et son humour. J'ai tout pris de lui.»

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- Avec Marie-André Amiot