Près de 20 ans après sa mort, Serge Gainsbourg revit sur grand écran grâce à Gainsbourg (vie héroïque), un conte cinématographique inspiré de ses rencontres avec les femmes de sa vie. Le film du bédéiste Joann Sfar est à la hauteur des attentes.

Cette semaine, il n'y en a ici que pour l'homme à tête de chou. Gainsbourg (vie héroïque), l'un des films les plus attendus cette année, prend l'affiche demain en France. Et attire dans son sillage un nouvel intérêt pour l'oeuvre de l'artiste. Cette production cinématographique, dotée d'un budget de 14 millions d'euros (environ 20 millions de dollars), intrigue les cinéphiles à plus d'un titre.

Le dessinateur Joann Sfar, qui signe ici son tout premier long métrage, s'attaque en effet à l'une des figures les plus mythiques de la culture populaire. Il a de surcroît choisi la voie du conte pour évoquer la vie de celui qui a fait chanter les plus belles actrices du cinéma français. De la haute voltige. Or, ce choix se révèle judicieux. Son film, disons-le, est à la hauteur des attentes. Et du personnage.

«À mes yeux, l'authenticité ne se situe pas nécessairement dans la vérité, a déclaré le cinéaste au cours d'une conférence de presse tenue dans le cadre des Rendez-vous du cinéma français, un événement annuel tenu par Unifrance, l'organisme chargé de la promotion du cinéma français dans le monde. Je déteste les cinéastes qui se prennent pour des reporters ou des journalistes. Le cinéma, c'est du théâtre. C'est une transgression de la réalité.»

La fille de son père

Pour bien marquer le coup de cette histoire «inventée», dans laquelle l'artiste est révélé à travers ses rencontres avec les femmes qui ont marqué sa vie, le célèbre bédéiste, auteur du Chat du rabbin, a d'abord conçu son film avec une interprète exceptionnelle en tête: Charlotte Gainsbourg.

«Je l'ai d'abord imaginée en Serge, révèle Sfar. Charlotte était d'accord pour incarner son père à l'écran. Mais à mesure que le projet avançait, trop de choses remontaient à la surface. Au bout de six mois, Charlotte s'est retirée. C'était pour elle trop douloureux sur le plan émotif. Je la comprends tout à fait. Mais la voie était déjà tracée. J'ai tenté de trouver un autre acteur, rencontré des stars, mais ça n'allait pas. Tout s'est de nouveau éclairé le jour où j'ai rencontré Éric Elmosnino.»

Venu du théâtre, l'acteur affirme que sa méconnaissance du personnage lui a sans doute bien servi.

«Je connaissais Gainsbourg bien entendu, fait-il remarquer. Mais sa musique ne m'intéressait pas. Pas ma tasse de thé. Heureusement d'ailleurs. Sinon, j'aurais été terriblement intimidé. Et probablement paralysé. Aujourd'hui, les chansons de Serge m'habitent tous les jours!»

L'aval de la famille

Joann Sfar a par ailleurs eu l'aval de la famille Gainsbourg pour évoquer la vie de celui qui aimait emprunter à Hemingway cette citation: «Je bois et je fume. L'alcool conserve les fruits; la fumée conserve la viande.»

«En fait, ses proches ne souhaitent pas vraiment voir le film, explique l'auteur cinéaste. L'exercice risque d'être trop dur pour eux. En revanche, ils m'ont tous dit que je devais faire ce film pour Serge. Parce qu'il aime trop qu'on parle de lui!»

Un casting de rêve pour un artiste d'exception a été mis en place. Autour d'Elmosnino, Sfar a réuni des acteurs - surtout des actrices - comme autant de rencontres magiques sur le parcours d'un petit enfant juif qui, bientôt, amènera un souffle nouveau - et provocant - dans le monde de la musique populaire.

Une belle astuce

Le style narratif est linéaire («Je n'aime pas les trucs déconstruits», dit le cinéaste), mais la forme, elle, ne l'est pas. Là est d'ailleurs la belle astuce du film. La fantaisie vient ainsi sublimer les aspects plus sombres, évoqués ici par un double, qu'on appelle «La Gueule», une sorte de marionnette en latex qui poursuit Gainsbourg comme sa mauvaise conscience. Doug Jones se glisse dans la peau de ce personnage hors normes.

Les rencontres avec Fréhel (formidable Yolande Moreau) et Boris Vian (Philippe Katerine) se révèlent formatrices. Mais ce sont les épisodes avec Greco (Anna Mouglalis), France Gall (Sara Forestier), Bardot (Laetitia Casta), Birkin (Lucy Gordon) et Bambou (Mylène Jampanoï) qui marquent nos esprits. Instants magiques avec la muse existentialiste; moments anthologiques avec B.B.

Sfar n'occulte pas les parties plus sombres du personnage, mais la forme du conte lui permet de magnifier le récit et d'emprunter un regard amoureux. Au point où l'aspect séduisant de l'artiste prime ici tout le reste. Indéniablement, le charme opère. Comme un dessous chic.

Les 12es Rendez-vous du cinéma français ont pris fin hier après cinq jours d'activités. Un total de 327 distributeurs étaient inscrits au marché. De leur côté, quelque 125 journalistes ont réalisé des interviews avec les artisans des films dont les droits ont déjà été acquis dans leur territoire respectif. Les délégations les plus imposantes proviennent d'Allemagne (40 distributeurs) et du Royaume-Uni. Treize acheteurs québécois étaient sur place.

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Gainsbourg (vie héroïque) prend l'affiche au Québec le 12 mars. Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.