Après sept années d'absence en tête de distribution, Mel Gibson revient devant les caméras pour tenir le rôle principal dans Edge of Darkness de Martin Campbell - un thriller inspiré de la minisérie britannique que le réalisateur de Casino Royale avait signée au milieu des années 80. Les deux hommes s'expriment - avec passion - sur cette oeuvre où les liens du sang priment les coups de sang.

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Mel Gibson est entré dans la pharmacie. Sa fille de 21 mois était avec lui. Ses jumeaux de quelques semaines, à la maison avec leur mère. Ils étaient malades. C'est le père de famille inquiet qui s'est présenté au comptoir, sa prescription en main. «J'ai quitté Hannah des yeux pendant une seconde», se souvient-il, quelque 25 ans plus tard.

Quand il a relevé les yeux, l'enfant se trouvait à 30 mètres de lui. Sur le trottoir. Prête à traverser la rue où les autos affluaient. Mel Gibson n'a pas réfléchi (sans commentaire!). Il a foncé. «Je pense qu'il y a eu un vieux monsieur avec des côtes cassées et une femme avec une semelle de soulier imprimée sur la figure.» Il plaisante. Aujourd'hui, il le peut. Sur le coup, l'instinct a pris le dessus. «Mais j'ai dû faire de sérieuses excuses après!» a-t-il raconté lors d'une conférence de presse tenue dans un hôtel de Santa Monica en prévision de la sortie de Edge of Darkness de Martin Campbell.

Il répondait à un journaliste qui lui demandait comment il avait su trouver en lui le personnage qu'il incarne dans ce thriller très sombre. Sa réponse disait tout. Mel Gibson est toujours ce père qui avait «foncé dans le tas» en voyant sa fillette en danger. Ce qu'il avait ressenti ce jour-là, il l'a attisé et insufflé à Thomas Craven, un détective de Boston qui assiste, impuissant, à l'assassinat de sa fille (Bojana Novakovic).

Une balle, une seule. Et Emma n'est plus. Or, cette balle, Craven en est persuadé, lui était destinée. À lui. Pas à elle. Il se promet, lui promet à elle aussi, de trouver celui qui a tiré. Démarre ainsi une enquête qui lui révélera une facette d'Emma dont il ignorait tout. La jeune femme n'était plus la petite fille dont il connaissait le moindre secret.

Mel Gibson a lu le scénario à un moment où il avait envie de revenir devant les caméras. Il avait quitté les projecteurs après Signs de M. Night Shyamalan, se contentant pendant sept ans de faire quelques apparitions à l'écran (certaines, bien involontaires, dans South Park et Family Guy). «Après Signs, je me suis senti asséché, tari. J'ai alors décidé de me concentrer sur la réalisation, l'écriture et la production.» Il y a eu La passion du Christ, Apocalypto. Et, bien sûr, les dérapages que l'on sait. Puis, peu à peu, le désir de jouer est remonté. «Je ne savais pas si je reviendrais au jeu, mais c'était dans l'ordre des possibilités, poursuit-il. C'est pour ça que je n'ai pas fait de grandes déclarations pour annoncer que je me retirais. En fait, je le vois aujourd'hui, j'avais besoin de recul pour redonner au métier d'acteur, qui est ma première passion, l'éclat qu'il avait perdu avec le temps.»

Retour à l'écran

Et quand l'envie du retour s'est manifestée, le scénario de Edge of Darkness lui a été présenté. «C'est ce que j'ai reçu de plus intéressant à ce moment-là. C'était une bonne histoire et de bons éléments y étaient attachés.» Parmi ces «bons éléments», le réalisateur Martin Campbell - qui a ressuscité la franchise «James Bond» avec Casino Royale. Et qui, au milieu des années 80, avait réalisé pour la BBC une série de six heures intitulée... Edge of Darkness. Le succès a été critique et public. L'influence, déterminante sur ce qui s'est fait par la suite en télévision.

À l'époque, Mel Gibson a dévoré ce thriller politique sur fond de guerre froide qui jonglait habilement avec les tensions internationales et familiales. Mais il s'est fait un devoir de ne pas regarder la série à nouveau: «Je voulais la revisiter à ma manière.»

Même chose pour Martin Campbell. Bien qu'il ait réalisé les six heures du Edge of Darkness original, il n'a eu, dit-il, «aucun problème à les mettre de côté». Et, ainsi, à aborder le long métrage comme «un matériel nouveau»: «Pour moi, le film est un drame sur le deuil, la perte et le châtiment plus qu'un thriller politique.»

Au-delà du contenu, il y avait la forme. «Nous avons décidé, dès le début, que les scènes d'action seraient conçues de manière à ce que ce qui s'y produit semble arriver de nulle part.» Prenant par surprise les protagonistes - et les spectateurs. Ça marche. Ça roule et ça cogne aussi. «J'ai engagé un chiro le lendemain du tournage de... j'imagine que vous savez quelle scène», a lancé Mel Gibson, qui a maintenant 54 ans, aux journalistes qui avaient vu le film la veille. Et, oui, ils ont tous deviné de quel moment il s'agissait.

Bref, c'est avec confiance que l'homme habitué aux dérapages incontrôlés envisage son retour à sa passion première - celle du jeu d'acteur, s'entend. Mais il s'attend à tout: «Chaque fois que vous faites quelque chose, vous vous exposez à être porté aux nues ou à vous faire massacrer - ou à quelque chose entre les deux. J'essaie de me rappeler que l'important, dans une expérience, qu'elle soit enivrante ou douloureuse, c'est d'apprendre.»

Edge of Darkness
(La frontière des ténèbres) prend l'affiche le 29 janvier. Les frais de voyage ont été payés par Warner Bros.