Il était presque écrit dans le ciel que James Huth donnerait un jour vie au grand écran à Lucky Luke, en compagnie de son grand ami Jean Dujardin. Après Brice de Nice, les deux hommes ne pouvaient trouver un projet mieux arrimé à leur imagination et à leur dévotion pour un personnage de bande dessinée.

Fan inconditionnel du cow-boy créé par Morris et Goscinny en 1946, dont il a «dévoré tous les albums» qu'il connaît par coeur, Huth s'est immédiatement tourné vers Dujardin lorsque la proposition lui a été faite. Il venait de découvrir encore plus fan que lui. «Quand je suis allé le voir chez lui, il a pris un stylo pour dessiner Lucky Luke sur une nappe, puis il m'a dit : «C'est ça que je faisais sur tous mes cahiers quand j'étais jeune. Lucky Luke, c'est moi!»»

James Huth raconte cette anecdote au Soleil, à l'issue d'une journée marathon d'entrevues organisée à l'occasion des 12es Rendez-vous du cinéma français, en fin de semaine dernière, dans un grand hôtel parisien. Malgré la fatigue et les interviews qui se sont succédé à la queue leu leu, c'est le réalisateur qui remercie le journaliste de lui consacrer un peu de temps, remarque plutôt rare dans le métier...

Fort de la collaboration de son grand ami Dujardin, Huth s'est jeté corps et âme dans l'adaptation des aventures du «poor lonesome cow-boy», celui qui tire plus vite que son ombre. Le tournage de 14 semaines en Argentine, avec la Cordillère des Andes en toile de fond, n'a pas toujours été une partie de plaisir, avec ces vents qui se levaient en milieu d'après-midi, d'une vélocité à écorner tous les boeufs de l'Ouest. Plus d'une fois, les décors de Daisy Town y ont goûté...

Il en fallait davantage pour démonter Huth, trop heureux de se frotter au héros de son enfance, devenu un personnage en chair et en os devant sa caméra, sous les traits du comique numéro un du cinéma français. Il y a 19 ans, l'acteur Terence Hill s'était risqué à adapter Lucky Luke, avec un résultat mitigé.

«Je n'aurais pas fait le film sans Jean Dujardin, explique-t-il. S'il avait vécu en 1870, à l'époque du film, Jean aurait été Lucky Luke. Surtout qu'il passe son temps en bottes de cow-boy et en jeans... Tous les deux, on ne voulait pas d'une grosse comédie du style Brice de Nice à cheval. Lucky Luke, ce n'est pas ça. C'est de la comédie, bien sûr, mais aussi de l'aventure et du romantisme. Si on a fait un film sur lui, c'était pour servir le personnage.»

«Tous les hommes rêvent d'être Lucky Luke, toutes les femmes d'être avec lui, poursuit-il. C'est le mec qui sauve les gens de toutes les situations périlleuses, alors qu'il rêve d'être fermier comme son père et de fonder une famille. Il est condamné à être le héros de l'Ouest, tout seul sur son cheval, se dirigeant vers le soleil couchant, sans amis, femme ou enfants. C'est son grand malheur...»

Inventer son passé

Refusant de se coller à un album en particulier du célèbre cow-boy, Huth a fait le pari d'un film qui pige ici et là dans l'oeuvre de Morris et Goscinny. D'où l'idée de lui inventer un passé et de revenir sur les origines dramatiques de son nom et ses racines familiales.

«C'est intéressant d'imaginer que son nom lui vient non pas d'avoir été chanceux, mais d'avoir échappé à la mort. Il y a des épisodes dans la BD où il est très ami avec les Indiens, alors peut-être a-t-il des origines indiennes? Du coup, en tournant un film d'après tous les albums, on construit les réponses aux questions qu'on aurait envie de poser au personnage s'il était vivant. Évidemment, il fallait aussi rendre son univers.»

Sur ce plan, les fans de Lucky Luke trouveront plaisir à voir la plupart des bons et les méchants de la BD prendre vie. Que ce soit le renégat Pat Poker (Daniel Prévost), le maladroit Billy the Kid (Michaël Youn), un Jesse James qui récite du Shakespeare (Melvil Poupaud), la tomboy Calamity Jane (Sylvie Testud), sans oublier l'amour de Lucky Luke, Belle (Alexandra Lamy, compagne à la ville de Dujardin).

Les fans des frères Dalton seront déçus d'apprendre que le quatuor de vilains a été mis de côté, faute de place. «Il aurait fallu virer tout le monde pour les avoir dans le film», se désole Huth.

La voix de Térez Montcalm

Le public québécois reconnaîtra une voix particulière dans Lucky Luke, celle de Térez Montcalm. Surmontant sa gêne, Huth lui a offert de collaborer à deux chansons, l'une originale, l'autre étant l'adaptation française de la chanson thème du Train sifflera trois fois (High Noon, interprété à l'origine par Tex Ritter).

«Térez Montcalm! Quelle chance formidable. Je n'osais pas l'approcher. Pour moi, il y a Billie Holiday et Térez Montcalm, explique le cinéaste. Je lui ai montré des scènes du film lorsqu'elle est venue à Paris pour un deuxième album. Elle a accepté en me disant : «J'accepte parce que lorsque j'étais petite, on me surnommait... Lucky Luke.»»

Le train du destin venait de siffler pour la troisième fois...

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Les frais de voyage et de séjour du Soleil à Paris ont été payés par UniFrance.