Créé il y a 60 ans dans un contexte de Guerre froide, le Festival international du film de Berlin a été un instrument de propagande des Alliés avant de s'affirmer comme un terrain d'affrontements politiques fréquents, dépassant les frontières du cinéma.

Pour la Berlinale, cette édition anniversaire du 11 au 21 février est l'occasion de revenir sur les scandales et controverses qui en ont fait le festival du film européen le plus engagé politiquement.

Au moment de sa création, Berlin était encore en ruines «mais restait un puissant symbole pour l'Occident», souligne l'actuel directeur du festival, Dieter Kosslick.

Lors de sa première édition, l'Allemagne de l'Ouest comptait quelque deux millions de chômeurs, et des milliers de Berlinois vivaient encore dans des abris de fortune, raconte Peter Cowie dans son livre The Berlinale - The Festival, qui vient de sortir.

Un festival international de cinéma offrait aux Américains un moyen d'endoctriner les Allemands - sortis seulement depuis quelques années du nazisme et de sa puissante machine à propagande - et créer une «vitrine du monde libre».

Il s'agissait aussi d'établir une tête de pont culturelle à Berlin-Ouest, la ville divisée étant devenue le symbole du conflit avec les Soviétiques.

Le premier film inaugural de la Berlinale fut Rebecca d'Alfred Hitchcock, sorti en 1940 mais dont les Allemands avaient été privés.

Un afflux de films hollywoodiens lui apporta glamour et paillettes et la Berlinale se vit accorder, cinq ans plus tard, le statut «A» de la Fédération internationale des associations des producteurs de films, ce qui la hissa au rang des festivals internationaux comme Cannes ou Venise.

Ses premiers Ours d'or furent décernés à des films américains et britanniques.

«Ce n'est qu'en 1958 qu'un jury accorda la plus haute distinction à un film européen -destiné à devenir un grand classique -, Les fraises sauvages d'Ingmar Bergman», observe M. Cowie.

Les tentatives des organisateurs allemands pour revendiquer leur indépendance face aux Américains eurent parfois des conséquences explosives.

En 1970, un conflit éclata à l'occasion de la projection d'O.K., du réalisateur allemand Michael Verhoeven, qui raconte l'histoire d'une fillette vietnamienne violée et assassinée par des soldats américains.

Le directeur du festival Alfred Bauer avait annoncé au jury «un fantastique nouveau film allemand». Mais après la projection, son président, le cinéaste hollywoodien George Stevens, menaça de démissionner si le film n'était pas exclu de la compétition.

George Stevens qui avait filmé pour l'armée américaine le débarquement en Normandie mais aussi la libération du camp de concentration de Dachau, trouvait éhonté de la part des Allemands d'accuser les GIs de crimes de guerre.

Finalement, le jury démissionna sans décerner aucun prix.

En 1979, un scandale encore plus important secoua la Berlinale, avec la projection du drame américain Voyage au bout de l'enfer.

Les délégations des pays de l'Est, incluant deux membres du jury, quittèrent le festival en dénonçant une description insultante de leurs «frères» vietnamiens.

La Berlinale permettait aux grandes puissance de marquer des points diplomatiquement sur des événements se déroulant à l'autre bout du monde, explique M. Cowie.

En l'occurrence, les pays du bloc soviétique «devaient trouver un moyen de manifester leur solidarité (envers Hanoï) sans s'engager militairement». Comme bien d'autres avant et après cette date, ils choisirent pour cela la Berlinale.