Les images sont saccadées, les personnages vont et viennent, comme en dansant, au rythme d'une musique exotique donnant la part belle aux cuivres, alors que dans son petit canot M. Hulot connait les pires problèmes.

C'est un moment étonnant que partagent une centaine de personnes, majoritairement des Éthiopiens, réunies à l'Alliance Française d'Addis Abeba devant un grand écran en extérieur.

La projection dans la capitale éthiopienne des Vacances de M. Hulot, mariée à un Tati concert avec le guitariste Girum Mezmur et son orchestre de jazz éthiopien, est la première étape africaine d'une tournée mondiale du film de Jacques Tati dans sa version totalement restaurée.

L'idée est de faire découvrir l'oeuvre du cinéaste à un public qui le connaît peu ou pas du tout, en respectant son esprit tout en laissant la liberté à des artistes locaux de se l'approprier l'espace d'une soirée.

«Franchement, je n'ai jamais vu les Éthiopiens rire autant devant une comédie. Le mélange a fonctionné auprès des jeunes notamment, grâce à cet humour international de Tati», confie Denis-Charles Courdent, directeur de l'Alliance, qui a prévu une semaine de projections de ses films, dont le célèbre Mon oncle.

«Il y a un côté universel dans l'oeuvre de Tati, une concision qui parle à tout le monde», explique Séverine Wemaere, déléguée générale de la Fondation Thomson-Technicolor pour le film et l'héritage télévisuel.

«Le Tati-concert permet de dédramatiser le côté un peu figé du patrimoine, de donner une autre entrée de lecture, et d'attirer les jeunes pour qu'ils voient les films de Tati», ajoute la jeune femme, à l'origine de cette manifestation avec Gilles Duval, délégué général de la Fondation Groupama-Gan pour le cinéma.

Les deux fondations se sont associées pour restaurer Les vacances de M. Hulot, l'un des films les plus connus de Jacques Tati, datant de 1953. L'opération a duré presque un an pour un budget de 300 000 euros.

«Une fois le film restauré on essaie de le diffuser le plus possible. Mais surtout on garde une copie 35 mm afin qu'il ne soit pas perdu», indique M. Duval.

??La Rochelle, dans l'ouest de la France, c'est le chanteur Matthieu Chedid, alias «M», qui a travaillé sur la musique du film. «Sans publicité on a eu au moins 5000 personnes, surtout des jeunes qui le suivent et du coup ont découvert M. Hulot», souligne Mme Wemaere.

??Adis Abeba, «Girum Mezmur a travaillé sur la musique d'Alain Romand, et a même rebaptisé son groupe pour l'occasion en Tati'opique Band», explique M. Duval. Et les images du film sont remixées par le Français Alexandre Elkouby, vidéo-jockey.

Après Addis Abeba, la tournée ira en Afrique du Nord (Maroc, Algérie, Tunisie) avec le chanteur et musicien franco-algérien Rachid Taha.

Au-delà de l'oeuvre de Jacques Tati, l'objectif des deux fondations est de sensibiliser le public et les cinéastes au risque de disparition d'une partie du patrimoine cinématographique, souvent mal entretenu et mal entreposé.

«80 % du patrimoine des films muets, réalisés dans le monde entre l'origine du cinéma et 1926, ont disparu. Certains Charlot définitivement... En France, même aujourd'hui, des réalisateurs connus n'ont plus de copie de leurs premiers films», note Mme Wemaere.

«Il y a une illusion à croire que parce qu'on peut trouver une copie DVD d'un film, il n'est pas menacé. Pendant qu'on regarde le disque, la bobine originale est en train de se perdre à jamais», renchérit M. Duval, évoquant notamment les ravages provoqués par un champignon qui détruit les bobines de film argentique.