Le rendez-vous fut pris pour le petit déjeuner, très tôt. En sa qualité de membre du jury de la section «Génération Plus», constituée de films dont les thèmes tournent autour de l'enfance, Philippe Falardeau doit gérer un horaire très serré.

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«Il y avait longtemps que je ne m'étais astreint à un tel rythme de projections, explique-t-il en attaquant sa salade de fruits. Je crois qu'il faut remonter à mes années de jeunesse, alors que je voyais quotidiennement plusieurs films au Festival des films du monde. Le spectateur en moi est heureux d'avoir à visionner trois films par jour; le cinéaste en moi l'est un peu moins. Depuis que je réalise des films, l'idée qu'un spectateur puisse se farcir trois autres longs métrages avant de voir le mien ne me sourit pas vraiment. Un peu comme le vigneron qui verrait arriver des visiteurs ayant déjà dégusté d'autres crus plus tôt dans la même journée!»

Quand la directrice de la section Génération, Maryanne Redpath, l'a invité à siéger cette année sur le jury international en compagnie de quatre autres professionnels, Falardeau n'a pourtant pas hésité. L'an dernier, le cinéaste a vécu à Berlin des moments très forts. Pour couronner le tout, C'est pas moi, je le jure! obtenait les deux premiers prix de la compétition, remis par deux jurys différents.

«Quand je vois la petite bande-annonce avant chaque projection, je replonge immédiatement dans les émotions vécues l'année dernière, raconte-t-il. Même si c'est seulement la première fois que je fais partie d'un jury dans un festival d'envergure internationale, j'ai accepté la proposition d'emblée, car je me sens redevable à la Berlinale, particulièrement à la section Génération.»

Cette expérience vécue de l'intérieur lui donne toutefois une autre perspective sur la chose.

«On s'aperçoit très vite que la dynamique d'un jury est d'abord une question de négociations et de compromis, reconnaît-il. Quand des gens viennent d'horizons différents, c'est inévitable. En même temps, ça relativise les choses. Je vis une leçon d'humilité par rapport aux prix que j'ai reçus l'an dernier!»

Philippe Falardeau soutient qu'une sélection naturelle des films à évaluer s'opère très vite dans un jury au fil des projections.

«Ce qui me frappe, c'est que les oeuvres les plus fortes ne sont pas destinées à un public cible en particulier. Les films conçus spécifiquement pour les jeunes sont généralement moins intéressants. On sent trop le calcul derrière.»

Aucun film québécois ni canadien ne figure dans le programme Génération cette année.

Un baptême

Le documentaire impressionniste de Jean-François Caissy, La belle visite, a par ailleurs eu droit à son baptême berlinois hier, alors qu'avait lieu la première projection destinée aux journalistes.

Présenté l'automne dernier dans le cadre des Rencontres internationales du documentaire de Montréal, ce très beau film a depuis longtemps attiré l'attention des sélectionneurs de la section Forum. Avec beaucoup de délicatesse, le cinéaste pose un regard sensible sur la vie de personnes âgées habitant un motel converti en résidence, rythmée au fil des saisons gaspésiennes.

Rencontré à la sortie de la projection, Jean-François Caissy était bien entendu ravi.

«Je suis surtout heureux du fait que le film ait été programmé dans la section Forum, a-t-il dit. Cette section regroupe surtout des films d'avant-garde. C'est aussi là où ont été révélés des cinéastes que j'admire, Béla Tarr notamment.»

Assumant toutes les fonctions, de la production jusqu'au service après-vente, le cinéaste gère de près le destin de son film.

«C'est du travail à temps plein! Je ne croyais pas qu'une sélection dans un grand festival international entraînait autant de boulot, observe celui qui, avec La belle visite, fait son entrée sur la scène cinématographique internationale.

De sa présence à Berlin découle bien entendu un rayonnement sur le circuit des festivals. Le film a notamment été sélectionné dans la section «Visions du réel» du prochain Festival de Nyon, l'un des plus importants dans le domaine du documentaire.

La belle visite prend l'affiche en salle chez nous à la fin avril.

La compétition en quelques mots

Drames et comédies déjantées se sont partagé les faveurs de la compétition officielle. Caterpillar, du vétéran japonais Koji Wakamatsu (United Red Army), est un conte cruel dans lequel un soldat revenu de la guerre complètement mutilé - on est en 1940 - doit réapprendre à vivre sous de nouvelles bases auprès de sa femme. Leur histoire commune comportant une bonne part de zones d'ombres, leurs «scènes de la vie conjugale» sont, dans ce contexte, particulièrement dures. Et aussi, parfois, poignantes.

L'intérêt de Der Räuber (The Robber), un film allemand réalisé par Benjamin Heisenberg (Schläfer), réside principalement dans la véracité de cette histoire peu banale ayant fait les manchettes en Autriche. Dans les années 80, un champion coureur marathonien était aussi spécialisé dans les hold-up. Portrait classique et prévisible, mais bonne performance d'Andreas Lust.

La comédie dramatique Greenberg, écrite et réalisée par Noah Baumbach (The Squid and the Whale), n'a pas suscité un enthousiasme délirant auprès des festivaliers. La volonté très nette de proposer ici un humour plus décalé se sent trop dans l'écriture, du coup trop forcée. Heureusement, il y a Ben Stiller, très juste dans le rôle d'un homme fragilisé par une récente maladie mentale.

Le cinéaste norvégien Hans Petter Moland (Beautiful Country) a de son côté marqué des points avec A Somewhat Gentle Man. Quelque part entre le cinéma d'Aki Kaurismaki et celui de Marc-André Forcier, Moland propose une tragicomédie aussi délicieuse qu'émouvante, dans laquelle un homme tente de faire amende honorable auprès des siens après être sorti de prison. L'acteur suédois Stellan Skarsgard sera probablement l'un des plus sérieux candidats pour le prix d'interprétation.