L'un des films très attendus de la Berlinale, Le Juif Süss, une superproduction relatant le «pacte avec le diable» conclu par un comédien autrichien qui joua dans le plus célèbre film de propagande nazie a provoqué une polémique jeudi, à l'avant-veille du palmarès.

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Cette production germano-autrichienne tournée dans les deux pays est le premier film de la compétition à avoir été sifflé lors de sa projection de presse, pour sa lourdeur et les libertés prises vis-à-vis de l'Histoire.

Écrit et réalisé par Oskar Roehler, 51 ans, auteur des Particules élémentaires (2006), Le Juif Süss relate une histoire véridique.

Ferdinand Marian (Tobias Moretti) était un acteur de réputation modeste qui en 1939 se vit proposer le rôle principal dans un film antisémite nazi à gros budget conçu par le ministre de la propagande d'Adolf Hitler, Joseph Goebbels.

Mécontent de l'absence d'un film vantant le national socialisme, le Führer avait commandé à Goebbels (joué par Moritz Bleibtreu) un Cuirassé Potemkine allemand, l'équivalent du chef d'oeuvre d'Eisenstein.

Largement diffusé dans toute l'Europe, Le Juif Süss de Veit Harlan relatait l'histoire d'un «juif fourbe», Joseph Oppenheimer, conseiller aux finances du duc de Wurtemberg au 18e siècle. Après avoir imposé des taxes qui l'avaient rendu impopulaire, il fut jugé pour haute trahison et pendu en 1738.

Marian a commencé par refuser le rôle, avant de l'accepter.

Dans le long métrage d'Oskar Roehler, il paie le prix fort de sa gloire éphémère: son meilleur ami et sa femme sont déportés et lui-même, tombé dans l'alcoolisme, voit sa carrière brisée et se suicide.

À Berlin le coscénariste Klaus Richter et le réalisateur ont été soumis à un feu roulant de critiques acerbes, lors d'une conférence de presse.

On leur a reproché d'avoir présenté Ferdinand Marian en «victime» alors que l'acteur a continué à tourner des films de propagande et poursuivi sa carrière avec notamment Les aventures fantastiques du baron Munchhausen» (1942) pendant la guerre. Il se vit ensuite interdire de jouer à cause du Juif Süss.

Le film présente aussi comme un suicide l'accident de voiture qui a causé la mort de l'acteur, le 7 août 1946, et invente des origines en partie juives à son épouse, jouée par Martina Gedeck (La vie des autres).

«Elle avait eu un premier mari juif et Goebbels faisait pression sur elle pour cette raison. Si nous lui avons donné une ascendance juive, c'était pour illustrer les pressions exercées sur les acteurs», s'est défendu Klaus Richter.

De son côté Moritz Bleibtreu a assumé son interprétation «clownesque» de Joseph Goebbels, après s'être vu reprocher de ne pas faire ressortir le «criminel de masse» dans son personnage. «Si j'en ai fait un clown, c'est que je n'ai pas pu résister à la tentation de copier l'original», a dit l'acteur.

«Quand on tourne une fiction, on prend quelques libertés. Faire mourir Hitler et Goebbels dans l'incendie d'un cinéma, ce n'est pas prendre des libertés avec l'Histoire?» a-t-il demandé, faisant référence à Inglourious Basterds de Quentin Tarantino.

«Nous voulions représenter le drame d'un être humain, il nous fallait rendre ses conflits moraux plus clairs», a affirmé Oskar Roehler. «Tous les propos tenus par des personnages historiques sont conformes à la vérité», a assuré le réalisateur.

Le Juif Süss est en lice avec 19 autres films pour les Ours d'or et d'argent décernés samedi.