Haïti espérait marcher dans les pas de l'Inde et de sa dynamique production cinématographique mais le piratage des films puis le séisme ont fait s'éloigner un peu plus le rêve d'un «Haïtiwood» dans le petit pays des Caraïbes.

«Le piratage a fait que les trois ou quatre salles de cinéma qui existaient encore, ont fermé en octobre. Mais le cinéma subsiste dans les rues avec la vente des copies de tous les genres de films parce que les Haïtiens adorent le cinéma», déclare à l'AFP Gessica Généus, une actrice de 25 ans, à l'affiche de la plupart des films haïtiens de ces dernières années.

Jusqu'en octobre, les Haïtiens venaient en masse dans les salles de cinéma, payant 100 gourdes le ticket - environ 3 $ - dans un pays où la majorité des travailleurs gagne 2,15 $ par jour.

«Le piratage dans toutes ses formes a tué les salles de cinéma et a tué aussi la production locale», observe Arnold Antonin, une figure du cinéma en Haïti, ex-président de l'Association des cinéastes haïtiens et directeur du centre culturel Pétion-Bolivar. Ces dernières années, une dizaine de longs métrages étaient produits chaque année en Haïti.

Arnold Antonin a sorti en 2006 son film Le président a-t-il le sida?, une fiction sur le virus qui frappe durement le pays. «Une semaine après, j'ai vu le film dans les rues», dit-il à l'AFP depuis son bureau où trônent sa photo au côté de Julia Roberts ainsi que des trophées du festival de Ouagadougou.

«Le public haïtien était le meilleur public pour son cinéma», affirme-t-il, précisant qu'en décembre avait été lancé le projet d'ouverture d'une salle de cinéma publique subventionnée.

Mais pour le petit monde haïtien du cinéma qui essayait de se mesurer aux cinéastes de Cuba et aux grands producteurs des Caraïbes, et qui voit dans la culture un moyen de faire avancer le pays, «tout s'est arrêté avec le tremblement de terre», dit M. Antonin.

La cour de son bureau a été transformée en camp de réfugiés et en base d'opérations pour les médecins étrangers.

Il ne s'avoue pas vaincu pour autant. Persuadé qu'un cinéaste «doit être un témoin des événements de la société», il prépare un documentaire avec les images qu'il a tournées depuis le 12 janvier, jour du séisme.

«Je suis encore choquée par le tremblement de terre mais je ne suis pas quelqu'un qui espère que les choses tombent du ciel, je sais que je recommencerai à faire des films avec tout ce qui nous arrive», assure aussi Gessica Généus qui a joué dans Le président a-t-il le sida?, dans Barikad (2002), Cousines (2005) et Les amours d'un zombie (2007).

Depuis le séisme, la jeune actrice, grande admiratrice de Meryl Streep, Pedro Almodovar et Woody Allen, travaille comme traductrice et assistante d'une employée de l'ONG Human Rights Watch.

Comme beaucoup des artistes professionnels encore présents à Port-au-Prince, elle n'a jamais songé à quitter son pays: «Ici c'est mon pays, je suis chez moi, je ne me vois pas essayer de faire quelque chose à Miami ou à Paris».

Quelques heures avant l'entretien, elle se trouvait dans les bureaux de l'ONU où était passée en coup de vent la star hollywoodienne Angelina Jolie, venue soutenir la population.

Dehors, des gardes de sécurité criaient: Gessica, «c'est notre Angelina Jolie. Que nous importe l'autre si nous avons la nôtre!»