Pour son premier essai au cinéma, le bédéiste Joann Sfar s'attaque à l'une des figures les plus mythiques de la culture populaire française. Gainsbourg (vie héroïque) est un conte cinématographique inspiré des rencontres de l'homme à tête de chou avec les femmes de sa vie. C'est forcément très riche.

Même à l'état de projet, cette production cinématographique, dotée d'un budget de 14 millions d'euros (19 millions de dollars environ), intriguait déjà à plus d'un titre. La rencontre entre l'univers de Joann Sfar et celui de Serge Gainsbourg ne pouvait être banale ni emprunter la voie du «biopic» traditionnel. Pour son premier long métrage, le célèbre dessinateur a choisi la voie du conte pour évoquer la vie de celui qui a fait chanter les plus belles actrices du cinéma français.

«De toute façon, je n'aurais pas su faire autrement, a déclaré le cinéaste au cours d'une conférence de presse tenue récemment à Paris. Ce ne sont pas tant les révélations et les détails de la vie de Gainsbourg qui m'intéressent que de rendre hommage à l'univers poétique d'un artiste d'exception.»

D'où ce parti pris de raconter Gainsbourg - et son oeuvre - à travers certaines rencontres déterminantes avec des femmes qui ont traversé sa vie, certaines uniquement sur le plan professionnel, d'autres s'étant glissées aussi dans la sphère intime. Sfar privilégie ainsi l'évocation plutôt que la reconstitution.

«À mes yeux, l'authenticité ne se situe pas nécessairement dans la vérité, dit-il. Je déteste les cinéastes qui se prennent pour des reporters ou des journalistes. Le cinéma, c'est du théâtre. C'est une transgression de la réalité.»

Pour bien marquer le coup de cette histoire «inventée», le célèbre bédéiste, auteur du Chat du rabbin, a d'abord conçu son film avec une interprète étonnante en tête: Charlotte Gainsbourg.

«Je l'ai imaginée en Serge, révèle Sfar. Charlotte était d'accord pour incarner son père à l'écran. Mais à mesure que le projet avançait, trop de choses remontaient à la surface. Au bout de six mois, Charlotte s'est retirée. C'était pour elle trop douloureux sur le plan émotif. Je la comprends tout à fait. Mais la voie était déjà ouverte. J'ai tenté de trouver un autre acteur, rencontré des stars, mais ça n'allait pas. Tout s'est de nouveau éclairé le jour où j'ai rencontré Eric Elmosnino.»

Sfar reconnaît aujourd'hui que l'idée de faire jouer Serge par Charlotte aurait probablement été une «fausse» bonne idée. Dans la mesure où le public aurait été appelé à accepter une convention plus difficile à imposer au cinéma qu'au théâtre. Eric Elmosnino, l'acteur finalement choisi pour incarner Gainsbourg à l'écran, a par ailleurs «bluffé» le cinéaste dès leur première rencontre.

Un casting de rêve

Joann Sfar a également eu l'aval de la famille Gainsbourg. «En fait, ses proches ne souhaitent pas vraiment voir le film, explique l'auteur cinéaste. L'exercice risque d'être trop dur pour eux. En revanche, ils m'ont tous dit que je devais faire ce film pour Serge. Parce qu'il aime trop qu'on parle de lui!»

Un casting de rêve a été mis en place. Autour d'Elmosnino, Sfar a réuni des acteurs - surtout des actrices - comme autant de rencontres magiques sur le parcours d'un enfant juif qui, bientôt, amènera un souffle nouveau - et provocant - dans le monde de la musique populaire.

Le style narratif est linéaire («Je n'aime pas les trucs déconstruits», dit le cinéaste), mais la forme, elle, ne l'est pas. Là est d'ailleurs la belle astuce du film. La fantaisie vient ainsi sublimer les aspects plus sombres, évoqués ici par un double, qu'on appelle «La Gueule», une sorte de marionnette en latex qui poursuit Gainsbourg comme sa mauvaise conscience. Doug Jones se glisse dans la peau de ce personnage hors normes.

Les rencontres avec Fréhel (formidable Yolande Moreau) et Boris Vian (Philippe Katerine) se révèlent formatrices. Mais ce sont les épisodes avec Juliette Gréco (Anna Mouglalis), France Gall (Sara Forestier), Brigitte Bardot (Laetitia Casta), Jane Birkin (la regrettée Lucy Gordon) et Bambou (Mylène Jampanoï) qui marquent nos esprits.

«Je voulais que le spectateur tombe amoureux de toutes ces femmes de la même manière que Gainsbourg est tombé amoureux d'elles», explique le cinéaste.

Sfar n'occulte pas les parties plus sombres du personnage, mais la forme du conte lui permet de magnifier le récit et d'emprunter ce regard amoureux. Au point où l'aspect séduisant de l'artiste prime ici sur tout le reste.

Les chansons - dont quelques immortelles - ont été choisies en fonction du scénario.

«Il ne s'agissait pas d'aligner simplement les succès, mais plutôt de révéler des facettes du personnage à travers son oeuvre», conclut le cinéaste.

Gainsbourg (vie héroïque) prend l'affiche le 2 avril. Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.