Peut-on spéculer sur les films comme sur le maïs ou le gaz naturel? Oui, estiment deux sociétés américaines qui veulent créer de nouveaux marchés financiers permettant de miser sur le succès des productions hollywoodiennes. Les grands studios américains s'opposent au projet, dénonçant une forme de paris.

La Commission américaine sur les échanges à terme sur les matières premières (CFTC) doit se prononcer ce mois-ci sur deux projets qui permettraient aux cinéphiles, professionnels du cinéma et spéculateurs de tout poil de parier sur le montant des recettes que de nouveaux films sont susceptibles d'engranger au box-office. Les investisseurs gagneraient de l'argent si leurs prévisions s'avèrent justes et en perdraient dans le cas contraire.

Le fonctionnement de ces forums d'échange en ligne serait similaire à celui des marchés à terme pour les matières premières, comme le maïs, la viande de porc, le gaz naturel ou l'argent. Reste que les investisseurs potentiels les plus susceptibles d'être intéressés, les six grands studios hollywoodiens, rejettent ces dispositifs.

La CFTC a décidé de reporter sa décision sur le projet de marché Trend Exchange de la société Veriana Ventures, en raison de cette opposition de dernière minute. Mais l'autorité de régulation devrait faire connaître sa position sur l'autre projet, le Cantor Exchange présenté par le courtier Cantor Fitzgerald, vers le 20 avril.

L'Association du cinéma américain (MPAA) estime que ces projets risquent de ternir la réputation et l'intégrité de l'industrie cinématographique en autorisant «les paris légalisés sur les recettes des films». Elle explique également qu'il serait «quasiment impossible» d'empêcher les délits d'initiés en raison du grand nombre de personnes assistant aux projections en avant-première des films avant leur sortie officielle.

Les promoteurs de ces marchés à terme sur le succès des films estiment pouvoir se passer sans problème du soutien des studios. «Ils ne représentent qu'une petite partie» des investisseurs potentiels, assure Rich Jaycobs, président de Cantor Exchange.

Selon Russ Andersson, directeur de la gestion des risques chez Veriana, d'autres acteurs du secteur, comme les réalisateurs, comédiens, les financiers et les propriétaires de salles, pourraient être désireux de participer s'ils doutent des perspectives de rentabilité de certaines productions.

Concrètement, sur le marché Cantor Exchange, un investisseur vendrait à un spéculateur des contrats à terme valant 1 $ pour chaque million de dollars de recettes généré par le film lors du premier mois au box-office nord-américain.

Si le marché estime que le prochain Harry Potter devrait rapporter 175 millions de dollars, un contrat à terme serait ainsi fixé à 175 $ environ six mois avant la sortie du film.

La valeur du contrat pourrait ensuite monter et baisser selon que les chances de succès du film sont jugées plus ou moins grandes. Si les estimations de recettes grimpent à 200 millions $ grâce à de bonnes critiques à l'approche de la sortie du film, les détenteurs des contrats pourraient les revendre 200 $, et empocher au passage une plus-value de 25 $.

Autre cas de figure: un investisseur vend un nouveau contrat 200 $ à un spéculateur. Si les recettes d'Harry Potter atteignent finalement 250 millions $ à la fin du premier mois d'exploitation, le spéculateur gagne 50 $ pour chaque contrat souscrit à 200 $, la plus-value étant payée par l'investisseur. Si le film ne rapporte que 150 millions $, c'est l'investisseur qui empoche la différence de 50 $, alors payée par le spéculateur.

Les investisseurs d'Hollywood pourraient se prémunir contre un flop au box-office avec ces contrats à terme. Si le film n'obtient pas les résultats espérés, ils auraient au moins la garantie de gagner de l'argent avec les ventes de contrats.

Avec une mise minimum de seulement 50 $, le marché de Cantor permettrait au grand public de participer directement via un site web, alors que le Trend Exchange de Veriana, plus élitiste, fixerait une mise de départ plus élevée et imposerait de passer par un courtier, excluant ainsi les amateurs.