Claude Chabrol mis à part, Benoît Jacquot est le cinéaste avec qui Isabelle Huppert a le plus souvent tourné. Avec Villa Amalia, adaptation du roman de Pascal Quignard, ils estiment tous deux s'être approchés d'une note parfaite qu'ils ne veulent pourtant pas atteindre. Pas tout de suite, du moins...

Au début des années 80, Isabelle Huppert et Benoît Jacquot ont tourné ensemble Les ailes de la colombe, comédie dramatique scénarisée par le dramaturge allemand Peter Handke. Le lien professionnel privilégié qu'entretiennent aujourd'hui l'actrice et le cinéaste s'est pourtant développé plus tard. Depuis une douzaine d'années, l'interprète fétiche de Chabrol est aussi celle de Jacquot, ayant tourné pas moins de quatre films sous sa direction. Dont Villa Amalia, dans lequel elle trouve l'un de ses plus beaux rôles.

«Isabelle sait que je vois chez elle des choses différentes de ce que voit Chabrol, a expliqué le cinéaste au cours d'une interview menée récemment à Paris. Cela dit, je crois quand même qu'il y a des points en commun entre tous les metteurs en scène avec qui elle travaille, aussi différents soient-ils. Il serait d'ailleurs intéressant de les chercher!»

Jacquot l'affirme sans ambages: Isabelle Huppert est pour lui l'interprète idéale.

«Dans mon esprit, un acteur est avant tout un interprète, au sens musical du terme, dit-il. Il propose une interprétation de ce que l'auteur demande. Celles que m'offre Isabelle me sont extrêmement profitables. Et j'en tire personnellement un grand bénéfice. Je recommence donc volontiers. Il est vrai que nous aimons aussi beaucoup travailler ensemble, à ce point que, lorsqu'on termine un film, on prend tout de suite rendez-vous pour le suivant! En principe, je devrais commencer à tourner un nouveau film avec Isabelle cet été.»

Très mélomane - voilà peut-être le point commun entre les metteurs en scène avec qui Isabelle Huppert aime travailler -, Benoît Jacquot aborde un scénario comme une partition, en tentant de trouver la manière d'atteindre la note la plus juste. La quête de la note parfaite, en somme.

«Il s'agit d'une quête d'absolu dont on espère s'approcher le plus possible mais qu'on ne souhaite jamais vraiment atteindre, prévient-il pourtant. Le jour où vous l'atteignez, il n'y a plus rien à espérer ensuite. Mais on cherche toujours quelque chose de cet ordre-là. Avec Isabelle, on a quand même le sentiment de toucher une vibration, d'approcher cette note de près. Quand nous avons tourné Villa Amalia, nous avions en tout cas le sentiment de ne pas en être très loin. À tel point que nous ressentons le besoin d'aller dans une tout autre direction pour le prochain film. Isabelle jouera un double rôle, deux femmes qui s'entredéchirent...»

Une approche intuitive

Villa Amalia est l'adaptation cinématographique du roman de Pascal Quignard. Le jour où elle découvre que son mari (Xavier Beauvois) batifole avec une autre, une pianiste de renom (Isabelle Huppert) abandonne sa vie pour aller s'en refaire une autre ailleurs. Elle choisit de vivre dans le dépouillement total. Métier, amis, famille sont mis de côté. Un ami d'enfance retrouvé par hasard (Jean-Hugues Anglade) constitue le seul lien qu'elle conserve avec son «ancienne» vie.

«Ce projet relevait de l'évidence pour tout le monde, avant même que le roman ne soit publié, signale le cinéaste. Il fut donc monté très vite; j'ai suivi mon intuition. Qui m'a bien servi, je crois. Contrairement à ce que peuvent laisser croire mes films, je suis beaucoup plus intuitif que cérébral. Je n'intellectualise pas beaucoup.»

Même si son nom reste connu essentiellement des cercles de cinéphiles, Benoît Jacquot s'est bâti une réputation enviable depuis 30 ans, notamment grâce à des films comme La désenchantée, L'école de la chair, Le septième ciel ou Sade. Son adaptation cinématographique de l'opéra Tosca (toujours inédite au Québec, sauf erreur) a été remarquée. Jacquot vient en outre de signer la mise en scène du Werther de Massenet à l'Opéra Bastille.

«Je suis privilégié. Je sais que, peu importe le genre de film auquel je m'attaque, un certain noyau de spectateurs ira le voir de toute façon. Ils sont peu nombreux - entre 80 000 et 100 000 en France - mais quand même assez pour me permettre de tourner régulièrement. Il faut aussi dire que mes films ne coûtent pas cher pour le résultat qu'on peut en attendre!»

Prolifique, Benoît Jacquot cisèle pourtant ses films avec beaucoup de finesse et privilégie une approche très sobre. À l'opéra, il s'éclate.

«Les conventions n'étant pas du tout les mêmes, je peux me laisser aller, à l'opéra, à une démesure que je ne pourrais jamais me permettre au cinéma. Dans un film, il faut s'approcher au plus près du réalisme, privilégier la sobriété et la vraisemblance. L'opéra, c'est l'inverse: plus il y en a, mieux ça passe! Pour un cinéaste, il est intéressant de s'adonner aussi à un art où tous les excès sont permis.»

_____________________________________________________________________
Villa Amalia prend l'affiche le 9 avril. Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.