Plus de 50 réalisateurs ont décidé d'attaquer publiquement la vision du nouveau président de la SODEC, François Macerola, dans une lettre déboulonnant «le mythe de la rentabilité» du cinéma québécois. Le contenu de la lettre, que La Presse a obtenue, doit être dévoilé lundi au cours d'une conférence de presse.

La lettre, signée entre autres par Denis Villeneuve, Bernard Émond, Xavier Dolan, Rodrigue Jean, Philippe Falardeau et Catherine Martin, est une réponse aux propos tenus par M. Macerola lors de son premier discours public, le 31 mars dernier, à l'Académie canadienne de cinéma et de télévision.

À peine installé dans ses fonctions de président et chef de la SODEC, François Macerola a formulé son désir de voir l'institution prendre ses distances du cinéma d'auteur et s'orienter «vers la diversité des styles et des genres». «Je ne veux pas que les films rentables soient laissés à Téléfilm», a-t-il déclaré lors de son discours accessible en ligne au www.sodec.gouv.qc.ca/discours_acct.pdf.

L'opposition entre le cinéma dit «rentable» et le cinéma d'auteur revient souvent hanter les débats sur le cinéma québécois. Or, les signataires estiment que la rentabilité à laquelle le cinéma québécois devrait aspirer est un «leurre». En effet, le seuil de rentabilité d'un film représente en moyenne quatre fois son budget: un cas de figure plutôt rare.

«Hormis Les invasions barbares et La grande séduction, existe-t-il un seul long métrage québécois ayant réussi à rembourser complètement ses investisseurs publics?» interroge la lettre, avant de conclure: «Orienter l'industrie cinématographique sur une quasi-impossibilité statistique nous paraît aberrant.»

Autre écueil relevé dans les propos de François Macerola: les films à succès commercial ne sont pas «laissés» à Téléfilm Canada, relèvent les auteurs de la lettre. La SODEC a en effet contribué à la production de 43 des 50 plus grands succès au box-office des cinq dernières années.

Associée à Téléfilm Canada dans la production des films les plus populaires de la cinématographie québécoise, la SODEC fait en revanche souvent cavalier seul pour les films s'illustrant dans les festivals nationaux et internationaux. Dans les récents mois, cela a été le cas de J'ai tué ma mère et de Polytechnique, mais aussi de Les signes vitaux, de Sophie Deraspe, ou du documentaire L'encerclement de Richard Brouillette.

«La SODEC est un acteur déterminant dans le succès populaire et critique du cinéma québécois», rappelle la lettre. Si François Macerola ne souhaite pas réduire la participation de la SODEC dans les films d'auteur, les réalisateurs s'inquiètent plutôt de la forme que pourraient prendre «les nouveaux modes de financement» que souhaite le nouveau président.

Une participation accrue du secteur privé ne pourrait, selon les cinéastes, bénéficier qu'aux plus gros joueurs de la production et de la distribution du Québec. Ceux-ci sont déjà avantagés par les enveloppes à la performance distribuées par Téléfilm Canada.

Enfin, les auteurs de la lettre croient qu'une meilleure limitation des coûts de production permettrait de répondre favorablement aux projets plus nombreux déposés auprès de la SODEC. Ils observent ainsi que les coûts de production ont augmenté de 163 % entre 2000 et 2006. «Comment une hausse aussi astronomique des coûts de production peut-elle se justifier?» se demandent les signataires.

Le milieu du cinéma est convié par les signataires à une conférence de presse lundi prochain, à Montréal. André Forcier, Fernand Dansereau, Marc Bisaillon, Jean-Pierre Lefebvre, Léa Pool, Denis Chouinard et François Delisle comptent également parmi les signataires déjà recensés de la lettre.