Afin de répondre à la pétition de plus de 80 cinéastes qui se portent à la défense du cinéma d’auteur au Québec, le président de la SODEC, François Macerola nous a accordé une entrevue que nous présentons ici intégralement. Il réitère son désir de doter la SODEC «d’outils adaptés à tous les genres de films». François Macerola revient sur la polémique soulevée par son discours du 31 mars, dans lequel il disait «ne pas vouloir laisser les films rentables à Téléfilm Canada» en répondant à nos questions.

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Q : Est-ce que vous comprenez la préoccupation des réalisateurs exprimée dans une lettre signée par 80 réalisateurs?

R : Je la comprends très bien, mais d’un autre côté elle doit venir d’ailleurs que du commentaire fait dans mon discours car je mentionne seulement que la SODEC n’est pas uniquement cinéma d’auteur mais elle est avant tout cinéma. Par conséquent, certaines personnes ont sans doute extrapolé et je trouve que le débat est sain. Je n’aime pas nécessairement comment les choses se font, j’aurais aimé avoir une copie de cette lettre.

Q : Vous en avez eu une pourtant…

R : Oui, mais c’est une lettre qui a coulé d’on ne sait quelle source. J’aurais préféré en recevoir une. Et d’un autre côté, pour moi ce qui est important c’est que ça ouvre les discussions. J’ai un point de vue à donner et je ne le retrouve pas dans la lettre ni dans l’article de La Presse où on dit que j’avais l’intention de mettre la pédale douce sur le cinéma d’auteur. Je n’ai jamais dit qu’il fallait prendre ses distances avec le cinéma d’auteur, au contraire. C’est une position logique de dire à tous les cinéastes bienvenue, présentez-nous des projets de qualité, on va les juger de façon professionnelle et continuer à jouer le rôle qu’on a toujours joué.

Q : Avez-vous eu des producteurs se plaignant de la façon dont la SODEC choisit ses projets?

R : Non, mais moi je réaffirme des choses.

Q : Pourquoi avoir le besoin de le réaffirmer?

R : Quand vous arrivez quelque part, vous voulez avoir le besoin d’établir le contact. Moi je suis arrivé et j’ai dit voici comment je veux établir le contact. J’ai dit aux réalisateurs : on n’est pas exclusivement cinéma d’auteur. Cela sécurisait certains réalisateurs ou producteurs qui m’avaient téléphoné et qui m’avaient dit : «la rumeur veut que tu t’en ailles du côté cinéma d’auteur».

Q : Donc il y avait une rumeur.

R : Il y avait des réalisateurs plus films d’auteurs qui me disaient «on connaît ton passé, tu vas aller du côté plus commercial». Par conséquent, moi j’ai voulu dire : regardez bien la façon dont on va gérer les choses. On n’est pas exclusivement films d’auteurs, on est la maison du cinéma et par conséquent tous les films dans une recherche de diversité sont les bienvenus.

Q : Vous avez affirmé : «je ne veux pas que les films rentables soient laissés à Téléfilm». Est-ce que vous croyez que ces films sont laissés à Téléfilm?

R : J’ai dit : «je ne veux pas que les films rentables soient laissés à Téléfilm» et si je n’avais pas dit ça, ça aurait été une aberration parce qu’on investit à la SODEC dans tous les films que vous pouvez qualifier de rentables. Si vous regardez sur tous ces films rentables, on est allés cherchés pendant dix ans cinq millions qu’on a réinjectés dans la SODEC! Moi, je suis pour le bon cinéma.

Q : C’est pour ça que l’on peut être surpris que vous ayez senti le besoin de le redire puisque de fait, la SODEC a été présente dans 43 des 50 succès commerciaux des cinq dernières années.

R : C’est pour ça je ne comprends pas pourquoi tout le monde s’excite. Ce que je dis c’est la réalité, je voulais sécuriser tout le monde. Nous on dit on fait du cinéma, là-dedans il va il y avoir tous les styles.

Q : Votre passage à la tête de Téléfilm Canada au moment de la mise en place des enveloppes à la performance a été relevé dans la lettre, tout comme à l’Assemblée nationale hier. Est-ce que c’est le genre de choses auquel vous pensez quand vous évoquez « de nouveaux modes de financement » à la SODEC?

R : Du tout. Les gens oublient que le budget à Téléfilm sous mon passage a doublé et c’est vrai que les enveloppes ont été mises sur pied par le gouvernement et la direction peu avant mon départ. Je ne sais pas comment ces enveloppes ont été gérées. Je sais qu’à l’époque il y avait toutes sortes de règlements et paramètres. Je pense que l’enveloppe, à l’époque, n’était pas nécessairement mauvaise. J’ai déjà répété dans le même discours que je n’avais aucunement l’idée de mettre ce système à la SODEC.

Q : La lettre mentionne que les nouveaux types de financement que vous souhaitez mettre en place favoriseraient les mêmes compagnies de production et de distribution. Êtes-vous d’accord?

R : Absolument pas. C’est une idée que l’on va devoir développer. C’est loin d’être arrêté, on ne va pas instaurer quelque chose à la SODEC sans en parler dans le milieu mais de là à dire que cela ne va profiter qu’aux producteurs et aux gros producteurs c’est prendre un raccourci intellectuel (…) Je suis pour le cinéma et ce qui m’importe c’est que les films soient vus par un public. Un film commence à exister quand il y a ce contact avec le public.

Q : Oui, mais si vous êtes pour le cinéma vous ne pouvez pas ignorer que 80 réalisateurs, et pas des moindres, sont préoccupés par l’avenir de la SODEC puisqu’ils ont signé cette lettre.

R : Mais cette pétition, si on me l’avait envoyée, je l’aurais signée. C’est une pétition très ouverte les gens peuvent voir dans mes propos autre chose que ce que j’ai en tête ce que je déplore c’est de ne pas avoir été invité à la conférence de lundi (où devrait être dévoilé le nom des signataires) pour donner mon point de vue.

Q : La lettre déplore aussi l’augmentation de la hausse des coûts de production. On demande à qui elle profite. Qu’avez-vous à répondre?

R : Oui les coûts ont augmenté mais il faut voir le pourquoi : la main d’œuvre coûte plus cher, l’équipement technique aussi. Les scénarios ont des coûts aussi. Ce ne sont pas seulement les aspects administratifs qui ont augmenté, mais le type de cinéma. Veut-on se limiter à un cinéma avec deux personnages et un seul lieu de tournage comme à la télé? Je ne pense pas. Maintenant si les coûts ont augmenté de façon importante, je suis prêt à regarder ça avec les gens qui mentionnent ce chiffre. L’ARRQ voudra, j’espère, que l’on se rencontre et que l’on fasse le point et essaiera de faire prendre des décisions. Maintenant, limiter les coûts comme le mentionne la lettre, c’est quasiment suggérer de faire de la censure.

Q : Sans parler de censure, on peut parler de contrôle de ces coûts non?

R : …Oui, c’est une question qu’il faudra regarder c’est clair. On le lit dans la lettre, on se l’est fait dire à la SODEC donc oui, on pourra regarder et ce sera intéressant de faire une étude concrète. Moi, je vous dis, je déplore la façon de faire, que l’on dise que je suis à droite ou à gauche, pour le cinéma d’auteur ou le cinéma commercial, j’ai toujours démontré mon ouverture à discuter. Je trouve que le processus est sain. Il aurait pu être engagé de façon différente. Si j’avais reçu cette lettre, ça n’aurait pas fait les manchettes mais les résultats seraient peut-être plus efficaces.

Q : Vous venez d’entamer votre mandat. Qu’est-ce que vous souhaiteriez changer ou réformer durant votre mandat du côté du cinéma?

R : Il y a certainement des choses que j’aimerais réformer à l’interne, avec les réalisateurs et les producteurs, entres autres la façon dont on sélectionne les projets. On sait que nous ne sommes pas dans une période de prospérité financière et on ne peut pas espérer que le gouvernement injecte de l’argent. Ce que j’essaie de faire c’est de dire on pourrait avoir un fond, de nature plus commerciale, qui financerait des films qui ont des chances plus importantes au box-office et qui libérerait des fonds dans le 25 millions [destiné à la production des longs-métrages chaque année, ndlr] pour un autre secteur, qui sont des films plus intimistes et sur lesquels on ne peut pas compter sur un box-office important. Je veux que les deux types de cinéma se fassent et qu’ils soient financés adéquatement. (…) Maintenant, si jamais on obtenait des fonds additionnels, l’idée du fonds commercial pourrait continuer et on pourrait s’inscrire d’un côté ou de l’autre. Dans ma façon de voir les choses : je veux le même carré de sable mais avec des secteurs différents, dans lequel les pelles seraient de taille différente. Par conséquent quelqu’un qui veut faire un film commercial peut utiliser uniquement le crédit d’impôt. Un autre peut faire un film un peu à la façon d’un film, je ne sais pas, de Bernard Émond où le critère premier n’est pas le box-office. De toute façon, le box-office n’a jamais été le critère premier dans nos décisions. Pour moi, c’est plus important d’avoir des outils différents adaptés à tous les genres de films plutôt qu’un seul outil où tout le monde doit l’utiliser.