Maison-mère du cinéma canadien, l’Office National du Film (ONF) a acquis ses lettres de noblesse grâce à ses documentaires et films d’animation. À l’heure du tout numérique, l’ONF peut-il s’imposer comme un chef de file de l’innovation technologique? C’est ce que croit Tom Perlmutter, le président de l’Office.

À la croisée des chemins, l’ONF? C’est ce que l’on se dit en se rendant dans le très dense immeuble qui abrite l’ONF depuis 1956, en bordure de l’autoroute Métropolitaine, à Montréal.

Dans les couloirs sont exposées une infime partie de l’imposante collection de photos que possède l’Office ainsi que les Oscars, Jutra et autres prix glanés depuis des décennies.

Dans les bureaux distribués le long d’interminables couloirs, on peut encore trouver un plateau de tournage d’un film d’animation.

Non loin de là, l’ancien studio de tournage n’est plus occupé par l’Office. Seuls deux réalisateurs en résidence ont encore leurs bureaux: Paule Baillargeon et Philippe Baylucq.

«On n’a pas besoin de tout ça», dit Tom Perlmutter de l’ensemble immobilier. Son bureau a une vue imprenable sur l’autoroute, mais Tom Perlmutter ne cache pas ses désirs d’ailleurs. Il rêve d’installer l’ONF au cœur de la ville, dans un «espace créatif» accessible au grand public: un déménagement qui traduit aussi la nouvelle identité de l’ONF.

«Nous voulons devenir une source de fierté pour les Montréalais et le Québec en créant un centre mondial d’innovation, de création et d’expérimentation du numérique, explique Tom Perlmutter. Il faut qu’il y ait toujours un échange, c’est quelque chose de fondamental pour accueillir le grand public et les créateurs.»

En matière de numérique, l’Office s’est déjà illustré à plusieurs reprises depuis le lancement de son site ONF.ca et autres applications pour iPhone. En avril, l’ONF annonçait qu’il avait récolté cinq nominations pour les Webby Awards, «la» remise de prix pour les sites internet. «C’est reconnaître la qualité de ce qui est fait ici», croit Tom Perlmutter.

Les internautes peuvent ainsi découvrir sur le site de l’ONF plusieurs projets développés exclusivement pour le web: le projet PIB ou le projet Écologie Sonore. «C’est une nouvelle surface à investir du point de vue créatif. Ce qui est dans le navigateur est une page blanche. La question est de savoir comment on investit ça de façon interactive?», demande Hugues Sweeney, concepteur à la programmation numérique de la direction du programme français.

L’interaction est aussi le maître-mot du projet PIB, qui, depuis les débuts de la crise économique, sonde le coeur des Canadiens chaque semaine. «On est dans une évolution continuelle: il y a une instantanéité qui donne une puissance narrative», croit la productrice du projet PIB, Marie-Claude Dupont.

Oeuvre chorale signée d’une quinzaine de collaborateurs placés sous la houlette de la réalisatrice Hélène Choquette, PIB remplit, selon Marie-Claude Dupont, la mission de l’ONF.

«L’ONF veut être en conversation avec les gens: on essaie de développer une nouvelle grammaire avec cette technologie», explique-t-elle.

La fin du cinéma?

Si les nouvelles technologies et le virage numérique de l’ONF semble bien entamés, certaines voix s’interrogent sur les conséquences, sur le documentaire notamment, de ces décisions. Au début du mois d’avril, le Comité du visible invitait réalisateurs, techniciens, universitaires et amis de l’ONF à réfléchir sur le devenir de l’institution.

«Comment cela se fait-il que les créateurs ne soient pas au cœur de ces initiatives-là?», demande le critique et professeur d’université André Habib. Une inquiétude que partage le documentariste Sylvain Lespérance (Intérieurs du Delta). «L’ONF est guidée de façon déconnectée des créateurs», croit-il. Sur les sites tels que PIB, il regrette de ne pas «s’y retrouver» comme spectateur. «Il ne me semble pas y avoir de vision d’auteur.»

Marie-Claude Dupont estime que «le créateur est celui qui est sur le terrain». «La place du créateur est importante, mais comme on est dans un sujet large il y a un travail d’équipe qui se fait pour être en lien avec le sujet», poursuit-elle.

Tom Perlmutter, lui, se veut rassurant: la mission de l’ONF n’a pas changé. «Fondamentalement, on doit faire ce que le privé ne ferait pas, faire quelque chose d’unique. Nous sommes une boite de production et de distribution publique, ça, c’est unique! Il faut vraiment pousser notre réflexion et faire des choses beaucoup plus difficiles à faire dans le privé.»

Les projets sur le web tout comme la numérisation des œuvres de l’ONF restent non seulement incontournables mais ne trahissent en aucun cas l’esprit de l’ONF. «Regarde Brault et Perreault: ils ont cédé aux nouvelles technologies. Par définition, le cinéma est un rapport à la technologie. C’est toujours la même façon de faire.»