Rebelote pour Xavier Dolan. Les amours imaginaires, second long métrage du cinéaste québécois, a été chaleureusement accueilli par les festivaliers cannois. Qu'on se le dise: le réalisateur de J'ai tué ma mère a vraiment un avenir.

Même si Woody Allen donnait au même moment une conférence de presse pour sa comédie - très charmante - You Will Meet A Tall Dark Stranger, la projection du nouveau film de Xavier Dolan, Les amours imaginaires, affichait complet dans la salle Debussy, lieu de présentation des films sélectionnés dans le programme Un certain regard, «l'autre» section officielle du Festival de Cannes.

Celui qui, sorti de nulle part, a glané trois prix l'an dernier à la Quinzaine des réalisateurs a visiblement piqué la curiosité de la presse internationale.

«Je suis très nerveux», a confié l'auteur cinéaste au cours d'une entrevue accordée à La Presse quelques minutes après la première représentation du film. Il avait beau alors avoir déjà eu écho des commentaires généralement positifs et des applaudissements nourris qui ont suivi la projection, Dolan n'était pas rassuré. D'autant plus que la critique ne s'est pas encore prononcée dans les médias québécois et français.

«Tout le monde me dit que le film suscitera des réactions mitigées, lance-t-il. Ma paranoïa naturelle m'incite à le croire! Cela dit, je crois que Les amours imaginaires n'est pas comparable à J'ai tué ma mère. Personnellement, je le trouve meilleur. Mais si on me limite à une oeuvre antérieure ayant une valeur dépréciée à mes yeux, il me semble que ce sera alors plus difficile pour moi. Ce n'est pas là où je veux aller. Je souhaite que tous mes films soient très différents les uns des autres.»

Il est vrai que ce deuxième opus a peu de choses à voir avec le premier. L'approche y est beaucoup plus ludique. Et l'auteur cinéaste a visiblement pris plaisir à faire du style. Esthétiquement très accompli, truffé de dialogues pétillants, Les amours imaginaires (à l'affiche au Québec le 11 juin) est une chronique pop dont la forme l'emporte largement sur le fond. Dolan s'amuse à faire du cinéma. Il multiplie les effets de caméras, les ralentis. Les cadres sont savamment conçus pour surprendre. Et les personnages se trouvent, sous son regard, magnifiés.

«Il s'agit d'un film palliatif, d'un entremets entre deux autres longs métrages, précise celui que tout le monde s'arrache depuis qu'il a posé le pied sur la Croisette, vendredi. En apparence, ça commence de façon légère, mais comme le thème est le rejet amoureux - nous l'avons tous vécu à un moment ou à un autre -, on sent progressivement le malaise s'installer. Comme une descente d'escalier. J'aime beaucoup ce moment-là. Nous avons peu de certitudes pour un film et on doute généralement de tout, mais j'avoue que je suis particulièrement fier de ce moment-là.»

Des amours contrariées

Ça commence avec des témoignages. Des êtres déçus de l'amour viennent se confier face à la caméra, parfois de façon grinçante. Et très drôle. La première rencontre entre Marie (Monia Chokri), Francis (Xavier Dolan), deux grands amis, et Nicolas, bel éphèbe pasolinien (Niels Schneider), se déroule au son de la sublime chanson Le temps est bon, tirée du film Les mâles de Gilles Carle. Les deux amis feront du beau garçon blond leur objet de désir. Il y aura entre eux un duel amoureux dont l'issue risque de laisser des marques.

«Il ne s'agit pas d'un triangle amoureux du tout car il existe un angle manquant, explique Dolan. Ces deux êtres magnifient complètement un être dont ils ne savent pratiquement rien. D'où ce choix d'une mise en scène plus maniérée, plus affectée. Je souhaitais que les images évoquent la démesure de leur fantasme.»

Les scènes d'alcôve, le plus souvent tristes car mettant aussi en scène des gens pour qui les deux protagonistes n'éprouvent pas de sentiments aussi intenses que pour Nicolas, sont toujours filmées dans l'ombre, sous un éclairage d'une couleur très prononcée. Les tons, l'allure et les accessoires que choisit Marie évoquent aussi l'univers d'Almodovar, même si l'auteur cinéaste y voit plutôt d'autres filiations. Beaucoup de chansons sont aussi utilisées pour faire évoluer le récit de ce film «sans histoire». De Dalida (Bang Bang) à Indochine (3e sexe) en passant par Renée Martel (Viens changer ma vie) et bien d'autres, celles-ci sont tirées du répertoire de plusieurs époques. Le film est par ailleurs truffé de références cinématographiques, littéraires et artistiques.

Cet «entremets», même s'il manque parfois un peu de valeur nutritive, se révèle néanmoins très savoureux. À n'en pas douter, Xavier Dolan a un véritable avenir dans le cinéma. Et sera probablement invité de nouveau à faire partie de la famille cannoise au cours des prochaines années. Il est clair que les sélectionneurs, le délégué général Thierry Frémaux en tête, l'ont dans leur ligne de mire.

Pour l'heure, l'emploi du temps du cinéaste québécois à Cannes est affolant. Il enchaîne les interviews avec les médias - surtout français; des dîners officiels - et intimes - où son invités les plus grands (son nom apparaît sur la même liste d'invités que Woody Allen au dîner de ce soir!) figurent aussi à son programme; sans oublier des participations à des tables rondes (avec Atom Egoyan notamment). L'équipe du film a aussi eu droit à une montée des marches officielle en compagnie de celle d'Another Year, plus récent film de Mike Leigh, présenté ici en compétition. La projection du soir des Amours imaginaires s'est finalement conclue avec une ovation.

À Cannes, Xavier Dolan est de nouveau dans l'oeil du cyclone.