Avec You will meet a tall dark stranger, présenté samedi à Cannes, Woody Allen prolonge sa romance londonienne et signe une comédie ultra-starisée à la morale simple: puisque la vie finit mal, entretenons le plus longtemps possible l'illusion de vivre.

Habitué de Cannes, mais toujours hors compétition, Woody Allen, qui aligne une quarantaine de films à son palmarès, raconte dans ce film au titre improbable (Tu rencontreras un bel inconnu), les démêlés de personnages qui se croisent, se décroisent, se recroisent et composent finalement un petit pan d'humanité.

Le film est placé d'entrée sous les auspices de Shakespeare cité en voix off: la vie est un récit conté par un idiot, plein de bruit et de fureur et qui ne signifie rien. En attendant, tous les protagonistes du film veulent changer de vie, l'un d'eux étant même persuadé qu'il en vivra encore plusieurs.

Helena (Gemma Jones), une vraie Anglaise gantée de mitaines au crochet, veut donner un sens à sa vie, sa fille Sally (Naomi Watts) voudrait avoir un enfant, ouvrir sa propre galerie d'art et coucher avec son patron (Antonio Banderas), son mari Roy (Josh Brolin) désespère de faire publier son second roman et aimerait conquérir sa délicieuse voisine, aperçue par la fenêtre, cette dernière Dia (Freida Pinto, vu dans Slumdog Millionnaire) ne sait plus si elle veut de son fiancé puis est certaine qu'elle n'en veut plus. Sans oublier le premier mari d'Helena, Alfie (Anthony Hopkins) qui se marie avec Charmaine (Lucy Punch), escort girl au physique avantageux. Viagra aidant, il échange son compte en banque contre ses charmes.

Manque encore un personnage essentiel: Cristal (Pauline Collins), voyante extra-lucide consultée tout au long du film par Helena, dont les prédictions semblent finalement concerner tout le monde, de Roy à Alfie, de Sally à Dia.

Et le destin, démiurge redoutable, se manifeste lui aussi. Roy, dont le dernier manuscrit a été finalement refusé, vole le roman non publié d'un autre écrivain, plus talentueux que lui et donné pour mort dans un accident de la route. Mais l'ironie du sort se révélera mordante...

En assistant à cette nouvelle pièce du petit théâtre de Woody Allen, on sourit, on rit souvent. On grince aussi quand sous l'ironie du cinéaste new-yorkais point un propos de philosophe stoïcien.

Woody Allen l'a d'ailleurs confirmé au cours de la conférence de presse qui suivait le film: «Je suis contre la mort». Et d'enchaîner ensuite quelques aphorismes et lapalissades : «Vieillir n'est pas drôle», «Il faut vivre dans l'illusion pour pouvoir vivre» ou encore «Pour réussir un bon film, il faut engager de bons acteurs».

Interrogé sur le titre, il s'est montré plus grave et a souligné son ambiguïté: il peut s'agir du bel inconnu bien sûr, mais «aussi de l'étranger qu'on va tous rencontrer et qu'on n'a pas envie de rencontrer».

Avec You will meet a tall dark stranger, c'est la quatrième fois que le cinéaste américain plante son décor au bord de la Tamise, dans une capitale britannique «dont les cieux gris sont parfaits pour la photographie», a-t-il dit.

On sait que son prochain film se fera à Paris et aura notamment comme actrices principales Carla Bruni-Sarkozy et Marion Cotillard. Pour faciliter la transition, Woody Allen l'annonce dans un clin d'oeil à la fin de «You will meet...». Helena, assise avec son nouvel amoureux sur le banc d'un parc baigné d'un timide soleil anglais, assure qu'elle aime beaucoup la France, ce qui paraît plausible, et ajoute qu'elle apprécie énormément Jeanne D'Arc, ce qui l'est franchement moins.