Bouleversant, audacieux et profond, Biutiful, un sombre mélodrame aux accents surnaturels signé par le Mexicain Alejandro Gonzalez Inarritu, a pris aux tripes le Festival de Cannes lundi, faisant de Javier Bardem un sérieux prétendant au prix d'interprétation.

> Réagissez au blogue de Marc-André Lussier

Quatre ans après avoir remporté le Prix de la mise en scène sur la Croisette avec Babel, aussi deux fois nommé aux Oscars, l'auteur d'Amours chiennes et de 21 Grams pourrait même repartir avec la Palme d'or, à en juger par la force des réactions à la sortie de la projection de presse.

Seul film latino-américain en compétition au festival qui se tient jusqu'au 23 mai, Biutiful marque l'émancipation réussie d'Inarritu, qui l'a écrit seul après sa brouille avec le scénariste Guillermo Arriaga, auteur des labyrinthiques histoires de ses trois premiers longs métrages.

Tourné dans une Barcelone méconnaissable, aux antipodes de la capitale catalane ensoleillée des cartes postales, Biutiful montre des quartiers crasseux, délabrés et sombres, aux logis insalubres, aux boîtes de nuit interlopes, dont les sous-sols abritent des ateliers clandestins.

Son héros, Uxbal (Javier Bardem) a un don : il dialogue avec l'âme des morts, avant que celle-ci ne quitte leur corps.

??le voir s'enfoncer une seringue dans le bras d'une main plus experte que celle de l'infirmière, on devine qu'il se drogua jadis. Lorsqu'il prépare à ses enfants un petit-déjeuner fait de biscottes trempées de lait, on comprend que leur mère (Maricel Alvarez), à la santé mentale précaire, n'en est plus capable.

Alors, quand Uxbal fournit à des immigrés clandestins africains des sacs de contrefaçon produits dans un entresol par des Chinois qui dorment à même le sol, on devine que cet homme massif et encore jeune, lutte lui-même jour après jour pour ne pas être broyé par la vie. Il tend la main à une jeune mère sénégalaise à la rue (la débutante Diaryatou Daff, très émouvante).

Remarquable, Javier Bardem - Oscar du meilleur second rôle pour No Country for Old Men des frères Coen en 2008 - au jeu aussi intense que sobre, campe un homme de coeur, père attentif, qui cache à tous la maladie qui le ronge.

«Je voulais montrer un personnage marqué par l'exploitation et la corruption. La maladie qui en résulte est aussi celle de la société. C'est un homme qui ne veut pas perdre ce qui lui reste, c'est à dire l'amour, il faut qu'il se guérisse par l'amour», a affirmé l'acteur lors d'une conférence de presse.

«Je n'ai jamais vu personne qui s'investisse autant dans un personnage. Comme les plus grands acteurs il peut être minimaliste, ce qui exige beaucoup de talent, de la confiance dans le public et dans le projet», a déclaré de son côté Inarritu.

Si Biutiful saisit aux tripes, c'est aussi qu'il immerge le spectateur dans le drame humain d'une immigration clandestine dont les journaux télévisés ne donnent qu'une image sensationnelle et superficielle.

Inarritu filme la violence de contrôles policiers menés comme un assaut militaire, la peur constante d'immigrants illégaux arrêtés dans la rue et matraqués puis expulsés, laissant derrière eux femme et enfants en détresse.

Suggestive et puissante, sa mise en scène émeut en suivant les corps au plus près, avant de distiller davantage d'informations en élargissant le cadre.

Un plafond tâché de salpêtre et recouvert d'ombres mouvantes, et le spectateur glisse dans les visions surnaturelles d'Uxbal, captées par l'extraordinaire photographie de Rodrigo Prieto.

Biutiful baigne dans la poignante nostalgie du concerto pour piano en sol majeur de Maurice Ravel.