Jean-Luc Godard n'a pas fait le voyage à Cannes pour présenter son Film socialisme mais sa présence était manifeste lundi à la sortie de ce «sampling» géant d'images et de textes autour de la tragédie permanente du monde et de celle du dernier siècle en particulier.

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Sa venue sur la Croisette devait être l'un des moments forts de ce 63e Festival de Cannes, d'autant que l'auteur de Pierrot le fou n'y était pas venu depuis 2004. Mais Jean-Luc Godard, bientôt 80 ans, est resté fidèle à sa légende et a fait faux bond. Il a adressé un mot au délégué général du festival Thierry Frémaux pour lui indiquer dans son style unique qu'il ne viendrait pas.

«Avec le festival, j'irai jusqu'à la mort, mais je ne ferai pas un pas de plus», dit-il dans ce mot évoquant ensuite des «problèmes de type grec» pour expliquer sa défection. Parle-t-il de tragédie antique ou de déficit budgétaire? Personne n'en saura rien.

Pourtant dans Film socialisme, visible en VOD sur internet lundi et mardi - un pied de nez à la distribution classique -, il est plusieurs fois question de Périclès et de démocratie, de Sophocle et de tragédie. Puis, en élargissant, de l'Égypte, de Naples, de la Palestine, des Juifs, des Palestiniens, de l'Holocauste, de la guerre, de toutes les guerres.

Comme toujours, avant d'entrer dans le maëlstrom du film, le générique est déjà «godardien». On lit sous le titre «audios» les noms, entre autres, de Beethoven et Chet Baker, Paco Ibanez et Barbara. Puis à la rubrique «Textos», ceux de Derrida, Bismarck, Sartre, Bernanos, Goethe, Shakespeare et Genet. Les films samplés sont eux aussi annoncés, du Cuirassé Potemkine d'Eisenstein à La bataille de marathon de Jacques Tourneur et Mario Bava.

Enfin quelques célébrités sont au générique et dans le film comme la chanteuse américaine Patti Smith, l'économiste Bernard Maris, le philosophe Alain Badiou.

La première partie se déroule dans le sillage d'un paquebot pour retraités et jeunes couples qui va de Naples à Alexandrie, de la Grèce à Barcelone. Des images sales, ultra-pixellisées, montrent que la croisière s'amuse. Dans l'intervalle, il est souvent question de la Seconde guerre mondiale, des Républicains espagnols, d'Hitler et de Staline, en bref de ce XXème siècle qui n'en finit pas de mourir.

Le texte qui s'inscrit sous les images, mais ne les accompagne pas forcément, forme un grand collage de citations comme : «aujourd'hui les salauds sont sincères» ou encore «nous travaillons dans la nuit».

La seconde partie a pour cadre la station-service et la maison de la famille Martin, quelque part en France. Un lieu un peu hors du temps, où les prix affichés à la pompe sont encore en francs. Là, les personnages ne sont plus les mêmes : il y a le garçonnet, la jeune fille, la mère, le père, un âne, un lama et une journaliste, caméra à l'épaule. Normal que la presse soit là puisque le garçonnet et la jeune fille veulent se présenter à l'élection cantonale. Et ils ont un programme : abolir le verbe «être» du vocabulaire et «savoir voir avant de savoir lire».

Face à cette mosaïque d'images et de textes qui bombardent la rétine, on s'émerveille, on se révolte, on se passionne, on s'ennuie aussi.

Et à la sortie de la projection, les spectateurs, l'air un peu hagard malgré tout, semblaient impressionnés. Heureuse, Agnès Varda, dont Godard a emprunté un extrait de film, s'exclamait «Ah, ce Jean-Luc!».