L’enfant prodige est l’un des très rares films qui font autant de place à la musique classique, plus encore qu’Amadeus et Shine. C’est le personnage principal du film, «une musique qui  transporte et qui accompagne bien le récit», précise le réalisateur Luc Dionne. Pour incarner ses autres personnages, les vrais, le réalisateur a fait appel à Patrick Drolet et Catherine Trudeau - réunis un an après la fin des Invincibles, Macha Grenon, Marc Labrèche,  Karine Vanasse, Benoît Brière, Isabel Richer...


Luc Dionne s’est imposé tout naturellement pour écrire et réaliser L’enfant prodige parce qu’il est musicien de formation et qu’il possède une grande sensibilité pour son sujet, estime la productrice Denise Robert. C’est sans doute aussi ce qui a convaincu Alain Lefèvre, champion de Mathieu depuis toujours, d’opter pour  le réalisateur d’Aurore et la boîte Cinémaginaire parmi les quatre propositions de producteurs «de premier ordre» qu’on lui a soumises. Lefèvre est le directeur musical, et le pianiste, de L’enfant prodige.


«Si Alain n’est pas là, il n’y a pas de film, dit carrément Dionne. Je me suis assis avec lui et on a parlé d’André Mathieu, de ce qui était important pour moi, du genre de film que je voulais faire. Et ça a cliqué. C’est comme ça, le cinéma. Je pense que j’ai réussi à le convaincre à cause de mes connaissances musicales. Je ne suis plus capable de voir des films où le pianiste joue dans le grave et sa tête est dans l’aigu. Ça me rend fou! Dans mon film, personne ne va  pouvoir me dire que ce qui est à l’écran, ce n’est pas ça qui joue.»


L’enfant prodige est l’un des très rares films qui font autant de place à la musique classique, plus encore qu’Amadeus et Shine, note Alain Lefèvre.

L’exercice posait quelques défis comme l’utilisation de grands orchestres dans des salles pouvant évoquer le faste des théâtres d’antan, mais à un coût qui ne fasse pas exploser le budget somme toute modeste de sept millions et des poussières.
«Je remercie Denise Robert d’avoir protégé l’intégrité artistique de ce film-là, dit Luc Dionne.

Je connais plusieurs producteurs avec qui j’aurais fini avec 15 musiciens sur scène. Avec Denise,  les orchestres sont là et il y a du monde dans les salles, pas 30 figurants. Et j’ai des théâtres, en Bulgarie, qui ont la richesse des salles du Paris des années 30.»


Le triomphe et la déchéance
Au sortir de la première chinoise, j’ai entendu au  moins deux spectatrices dire qu’elles avaient préféré la première partie du film, où l’enfant génial, joué par Guillaume Lebon, éblouit Montréal, Paris et New York, à la deuxième qui montre la déchéance de l’artiste incarné par Patrick Drolet.


Il est vrai que dès le moment où l’on passe en fondu du petit Mozart à l’adolescent troublé, il n’y a plus de conte de fées qui tienne et les moments de réjouissance se font rares. C’est la descente aux enfers du surdoué. On voit progressivement la vie de Mathieu lui glisser entre les mains, on constate qu’il est alcoolique et que ses relations - avec sa famille, les femmes de sa vie et ses pairs - sont très problématiques sinon carrément vouées à l’échec.


Mais Luc Dionne a surtout voulu faire un film où triomphe la musique de Mathieu. Dans un premier montage, son film commençait par le pianothon du Palais du commerce, le point de non-retour à partir duquel la carrière de Mathieu a amorcé sa chute irrévocable, et sa vie était racontée à l’aide de flash-backs. Dans la version finale, ce pianothon où Mathieu s’est discrédité à jamais auprès du chef Wilfrid Pelletier, reprend sa place chronologique dans l’histoire et a même quelque chose d’onirique.


«C’est un des choix éditoriaux qu’on a faits, explique Dionne. Le pianiste est dans sa bulle: pendant 21 heures, il joue ses compositions. En commençant le film par le pianothon, on sentait qu’on faisait l’apologie de sa déchéance et ce n’était pas ce qu’on voulait laisser comme impression. Heureusement, Cinémaginaire m’a donné 20 semaines de montage plutôt que les 12 ou 13 habituelles.»


Dionne rappelle que malgré son mal de vivre, André Mathieu a quand même fait des choses extraordinaires à l’âge adulte. «Quand il joue le Quatrième concerto,  je tourne à 24 images/seconde et le kodak a de la misère à suivre les doigts! C’est ça, André Mathieu. Mais ce n’est pas qu’un virtuose. La beauté de la musique qu’il a composée ne fait pas de doute: en sortant du film, les gens sont émus, ils sont tout à l’envers.  Mathieu a commencé par faire de la musique descriptive, mais quand il a été obligé de parler de ses peines d’amour, il l’a écrit dans sa Rhapsodie romantique. Sa vie fait poum poum, poum poum, poum poum, trois battements,  et le coeur arrête de battre. Non seulement il  l’écrit en musique, mais il voit sa mort. C’est ça, je pense, qu’on a réussi à mettre à l’écran.»


«L’histoire de Mathieu est très moderne, ajoute Denise Robert. On peut faire le parallèle avec tellement d’artistes qui étaient grands et qui sont tombés dans l’oubli. Je crois sincèrement qu’on naît avec un talent et qu’on meurt avec ce talent. La question, c’est ce qu’on en fait entre les deux.»

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