À Cannes, les journalistes ont l’habitude d’être fouillés dès qu’ils font leur entrée dans une salle de cinéma. Hier matin, pour la toute première projection de Hors la loi à 8h30, ils ont exceptionnellement dû passer par deux points de sécurité. Ils se sont même fait confisquer leur… précieuse bouteille d’eau!


Surnommé habituellement le «bunker», le Palais des festivals, presque en état de siège, portait bien son surnom hier. Renforcement policier, mesures de sécurité accrues, bref, la totale. La raison de tout ce brouhaha? La polémique - ridicule - qui a secoué le monde politique à cause d’un film que personne n’avait évidemment encore vu. Inconsciente ou franchement bête, la mairie de Cannes appelait même ses citoyens à participer hier matin, en contrepoint des projetions de Hors la loi, à une «cérémonie du souvenir», manifestation où l’on attendait des rapatriés, des anciens combattants, des harkis, des élus de droite, et autres insatisfaits de toute nature. Lesquels avaient entendu dire que le film de Bouchareb était «anti-français».


Les autorités policières craignaient des débordements. Ou des contre-manifestations. D’où ce dispositif de sécurité très serré. Au moment de notre heure de tombée, aucun incident déplorable n’était survenu.


Rachid Bouchareb, de retour à Cannes quatre ans après Indigènes, est un peu dépassé par les événements. D’autant plus qu’on a dû lui coller aux baskets une équipe de sécurité digne de celle d’un président.


«Je savais que le sujet reste sensible, a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse. La question du passé colonial de la France n’a pas encore été vraiment débattue, ni réglée. Les relations entre l’Algérie et la France restent toujours aussi tendues. Mais là, franchement, c’est exagéré. D’autant plus que ce film est beaucoup plus destiné à ouvrir le débat qu’à susciter un affrontement. Il faut discuter de ces choses pour que la page se tourne enfin. Il n’y a aucune raison que ce malaise se perpétue au fil des prochaines générations.»


Il n’y a pourtant pas vraiment de quoi faire tout un plat avec Hors la loi. Bien sûr, le récit emprunte le regard des colonisés plutôt que celui des colonisateurs. Mais Bouchareb offre néanmoins une vision plutôt nuancée des choses, en tout cas pas aussi manichéenne que nous aurions pu le croire au départ. Évidemment, les répressions brutales dont ont été victimes les Algériens en France à une certaine époque sont évoquées. Mais pas seulement. Les militants du FLN n’ont pas le beau rôle non plus. Telle est d’ailleurs peut-être la raison expliquant l’absence de lien empathique avec le spectateur.


Contrairement à Indigènes, l’émotion n’est pas au rendez-vous, malgré toutes les astuces qu’utilise l’auteur cinéaste pour la créer. Ayant délibérément voulu utiliser les codes du film de gangsters à la Coppola ou à la Scorsese, Bouchareb propose un drame un peu bancal, dont l’impact, une fois les poussières polémiques tombées, ne sera pas très fort. Les trajectoires de ces trois frères algériens (Roschdy Zem, Sami Bouajila, Jamel Debbouze) qui, chassés de leur terre, se sont installés en France avec leur mère, sont intégrées au récit de façon artificielle, plaquées pour servir une démonstration. Le personnage qu’incarne Debbouze, qui fait fortune à Pigalle, frôle la caricature.


«Quand j’ai vu Le coup de Sirocco d’Alexandre Arcady, qui racontait l’Algérie du point de vue des pieds-noirs, j’ai vraiment été ému, indique le cinéaste. Maintenant, chacun a son histoire dans la grande Histoire. Il y a de la place pour tout le monde dans mon film. Parce que ce n’est pas du tout un film «contre».


«Oui mais quand les producteurs nous voient arriver, ils ont l’impression de voir Al-Qaeda au cinéma quand même!» conclut Jamel Debbouze.


Fin de parcours

Peu films s’étant véritablement distingués au cours de cette compétition, la course reste très ouverte. Oncle Boonmee - Celui qui se souvient de ses vies antérieures, nouvelle offrande de l’enfant chéri du circuit des festivals Apichatpong Weerasethakul, risque peut-être de figurer au palmarès d’une façon ou d’une autre grâce à son approche très pure. Et radicale. On pourrait en dire autant pour Mon bonheur, premier long métrage de l’Ukrainien Sergei Loznitsa, dans lequel un routier se retrouve coincé dans les arcanes d’un road movie burlesque. S’étirant en longueur mais offrant néanmoins un très beau portrait de femme mûre, Poetry, du Coréen Lee Chang-dong, pourrait aussi attirer l’attention des membres du jury. Il serait toutefois étonnant que La nostra vita en fasse autant. Daniele Luchetti propose sans conviction une dérive feuilletonesque au centre de laquelle se trouve un entrepreneur de construction. À voir encore: Tender Son - The Frankenstein Project (Kornel Mundruczo) et Soleil trompeur 2 (Nikita Mikhalkov).