Après avoir dû renoncer au projet d'adaptation de L'histoire de Pi, Jean-Pierre Jeunet a eu envie de se lancer très vite dans un film dont l'univers lui est plus familier. Résultat: Micmacs à tire-larigot, un drame fantaisiste à mi-chemin entre Delicatessen et Amélie Poulain. 

Jean-Pierre jeunet le reconnaît volontiers. Oui, le titre de son nouveau film est très étrange. Et n'a pas de signification particulière.

«Un titre s'impose d'emblée ou alors, il faut en trouver un, faisait remarquer le cinéaste au cours d'une entrevue accordée à La Presse au dernier Festival de Toronto, où Micmacs à tire-larigot fut présenté en première mondiale. J'aimais bien l'expression «tire-larigot», mais il était difficilement envisageable de l'utiliser seulement comme ça, sans plus d'enrobage. C'est un ami qui a trouvé. En même temps, on se fout bien du titre. Delicatessen, ça ne voulait pas dire grand-chose non plus!»

D'aucuns diront que cette nouvelle offrande partage, à tout le moins sur le plan visuel, plusieurs points communs avec le vieux titre qu'évoque Jeunet, coréalisé avec son comparse de l'époque Marc Caro.

«L'humour y était plus sombre quand même, souligne le cinéaste. Je situerais plutôt Micmacs entre Delicatessen et Amélie Poulain!»

Ce nouveau film, le premier que propose Jeunet depuis Un long dimanche de fiançailles, découle justement d'une envie de revisiter des territoires plus familiers. Après avoir travaillé d'arrache-pied sur un film qu'il ne pourra finalement jamais réaliser, le cinéaste s'est très vite lancé dans un nouveau projet, histoire de ne pas rester trop longtemps sans tourner. Rappelons que Jeunet a dû renoncer à regret à L'histoire de Pi, l'adaptation du roman à succès de Yann Martel. Aux dernières nouvelles, ce projet était toujours entre les mains d'Ang Lee.

«Nous y étions presque, raconte le cinéaste. J'ai travaillé sur L'histoire de Pi pendant deux ans. Gros story-board, 3500 photos, repérages, etc. J'ai tout redessiné, tout découpé. Nous étions pratiquement prêts à entrer en production, mais il était impossible de tourner le film avec le budget prévu par la Fox. Ils m'ont alors suggéré de le produire moi-même! À cause de l'échange entre l'euro et le dollar, cela devenait impossible. Quand je me suis rendu compte que le vent tournait et que nous nous dirigions vers une impasse, je me suis concentré sur Micmacs. Après avoir tant travaillé pour rien, il me fallait faire quelque chose. Il me fallait tourner.»

D'autres écueils

Les écueils ne se sont pourtant pas arrêtés là. Écrit en collaboration avec le complice Guillaume Laurant, le scénario de Micmacs est d'abord spécifiquement conçu pour Jamel Debbouze. Deux mois avant le début du tournage, l'acteur se désiste, exprimant la volonté de prendre une pause. Jeunet se tourne alors vers Dany Boon. Qui, dans un premier temps, refuse la proposition.

«En fait, il est certain que je dis oui à Jean-Pierre, expliquait de son côté le plus célèbre Ch'ti au cours de cette interview croisée torontoise. Il y avait d'ailleurs longtemps que nous voulions travailler ensemble. Mais le rôle étant originellement écrit pour Jamel, je craignais de ne pas correspondre au personnage du tout. J'avais peur de la fausse bonne idée, en fait.»

Le scénario a évidemment été modifié en conséquence.

«Du coup, nous sommes allés dans l'autre sens, souligne Jeunet. Plutôt que de faire de Bazil, le personnage qu'incarne Dany, une petite crevette fragile, ce qu'il était à l'époque où Jamel devait l'incarner, on a opté pour le style gros ours!»

Dégaine de Boon

Dany Boon prête ainsi sa dégaine à un personnage ayant été victime, deux fois plutôt qu'une, de marchands d'armes. Enfant, il a perdu son père à cause de l'explosion d'une mine dans le désert marocain. Adulte, une balle perdue au cours d'une fusillade en face de chez lui s'est logée dans son cerveau. Sans abri, Bazil est repêché par une bande de marginaux aux multiples talents. L'heure de la vengeance a sonné.

«C'est très agréable d'être porté comme ça par un univers fort, fait remarquer Dany Boon. Pour un acteur, il n'y a rien de pire que de tomber sur un metteur en scène qui n'a pas d'idées, pas d'univers, pas de style. Quand on s'aperçoit au tournage qu'un cinéaste n'a finalement pas grand-chose à dire ou à raconter, on est très malheureux. Évidemment qu'avec Jean-Pierre, c'est tout le contraire qui se passe. Son univers est si foisonnant qu'on peut tout de suite imaginer le film dans sa tête dès la lecture du scénario! Un tournage avec lui est très studieux. Tout le monde est bien concentré.»

«Je note des idées continuellement, renchérit Jeunet. Que je mets dans de petites boîtes et que je sors au moment opportun, quand cela est utile pour un film. Je fais cela avec des objets aussi.»

«En fait, ajoute Boon, c'est tellement encombré chez Jean-Pierre que je ne vais plus chez lui, de peur de perdre des choses que je retrouverais recyclées sous une autre forme des années plus tard!»

Micmacs à tire-larigot prend l'affiche le 4 juin.