Impitoyable, le lecteur de Téléfilm Canada jugeait alors que, dans le scénario du premier film de Xavier Dolan, «la minceur des personnages (ne laissait pas) espérer avoir des dialogues transcendants». «Malheureusement, la structure, les personnages, les dialogues et le traitement ne permettent pas de penser qu'on a entre les mains un scénario prêt à tourner», peut-on lire.

La petite histoire de J'ai tué ma mère, tout le monde la connaît: un premier film financé avec les économies du réalisateur (et l'aide, en postproduction, de la SODEC) et un fabuleux parcours en festivals entamé à Cannes. Le jeune réalisateur-scénariste-acteur âgé de 20 ans, Xavier Dolan, a depuis tourné un deuxième film, Les amours imaginaires, à l'affiche, et en prépare un troisième, Lawrence Anyways.

Comme de nombreux projets, J'ai tué ma mère n'avait pas réussi à convaincre les analystes et jurys de Téléfilm, dont les choix cinématographiques font fréquemment l'objet de critiques dans le milieu du cinéma québécois. Le volet sélectif, auquel ces rapports sont soumis, finance environ 14 films en français chaque année.

La Presse a demandé, en vertu de la loi d'accès à l'information, un exemplaire de plusieurs rapports de lecture, dont celui de J'ai tué ma mère. Leur lecture révèle parfois un manque de clairvoyance et suscite quelques questions dépassant largement le cas Xavier Dolan. Ainsi, le scénario de Guillaume Vigneault pour Tout est parfait se faisait aussi démolir dans un rapport de lecture rédigé en avril 2006: écriture ressemblant à celle de «téléroman de type Virginie», forme «potentiellement ambitieuse (mais non aboutie)», le film ne sera pas un succès destiné «aux marchés étrangers ou aux festivals», écrit-on.

«Peut-être y aurait-il lieu que le scénariste fasse l'exercice d'une écriture qui établisse les faits de manière chronologique, question de mieux identifier les déficiences du récit et surtout de cerner et affirmer son point de vue», dit le rapport. Recalé du côté du volet sélectif chez Téléfilm Canada, Tout est parfait a été sélectionné au festival du film de Berlin à sa sortie en 2008.

Dans leurs rapports de lecture, les analystes laissent aussi libre cours à leur subjectivité. Ainsi, l'auteur d'un rapport par ailleurs favorable au projet des Invasions barbares, de Denys Arcand, glisse qu'elle «n'adhère pas aux vues et discours de l'auteur», mais qu'il «paraît impossible de nier la pertinence et les grandes forces du projet». Le film a finalement reçu le soutien de l'institution fédérale avant de connaître le succès que l'on sait.

Du côté du film De père en flic, le plus gros succès au box-office québécois à ce jour, le rapport de lecture fustige l'emploi du joual: «Toujours cette idée tenace que seul le dialecte québécois est gage d'authenticité», dit l'auteur. Ceci apporte un bémol, selon lui: «Cet engagement élimine toute possibilité d'écoute, en VO, de tout spectateur autre que "de souche".»

Enfin, les références d'Émile Gaudreault à des réalités très québéco-québécoises dans le film «amenuise(nt) la portée du film». «Le cinéma, croyons-nous, a pour règle d'universaliser le propos», souligne l'auteur, avant de faire une recommandation défavorable. Le film sera finalement produit avec le soutien de Téléfilm Canada.

Les rapports de lecture ne sont qu'une partie du processus menant au choix de financer ou non un film. Ainsi, Je me souviens (appelé à l'origine Nemesis), d'André Forcier, avait reçu un rapport favorable avant d'être tourné avec un budget minceur, sans le soutien de Téléfilm. «Même si la structure ne suit pas un rythme conventionnel en trois actes, Némésis est un scénario bien écrit et solide (...) qui fera le plaisir du grand public», peut-on lire.

Pour toujours les Canadiens, de Sylvain Archambault, avait fait l'objet d'une recommandation négative, pour des raisons qui n'apparaissent pas dans le document remis à La Presse. Pourtant, le film a reçu, fait exceptionnel, le soutien de la SODEC et de Téléfilm Canada dès son premier dépôt grâce à son plan de mise en marché, nous avait-on indiqué à l'époque. Cela ne l'avait pas sauvé du naufrage.

- Avec la collaboration de William Leclerc