Petit à petit, le cinéma français prend son envol. Il se débarrasse de ses lourdeurs, de ses automatismes, de son carcan petit-bourgeois.


Il change. Lentement.


Il ose. Enfin.


Grâce à quelques réalisateurs à part, comme Audiard, Richet, Bouchareb ou encore Assayas. Grâce à quelques projets à part, comme Un Prophète, Mesrine, Hors la loi ou encore Carlos.


La différence avec le septième art plan-plan à la française? La prise de risque, avec des oeuvres dures, âpres, politiques et parfois polémiques, dans la veine du cinéma américain des années 1970. La prise de risque, avec des scénarios documentés, travaillés, et des acteurs solides, parfois inconnus du grand public, mais capables d'exceller, bien plus que les grands noms, souvent décevants et toujours à l'affiche.


Présenté hors compétition au Festival de Cannes cette année, Carlos d'Olivier Assayas fait partie de la nouvelle production cinématographique française. Sans les faiseurs, le formatage et la frilosité.


Sa marque de fabrique: l'audace. L'audace par son sujet: la vie d'un des plus grands terroristes internationaux du monde moderne. L'audace par son casting: le choix d'un acteur quasi inconnu en France, Edgar Ramirez (Domino, La vengeance dans la peau). L'audace par sa forme: un téléfilm en 3 parties de 5h30, adapté au grand écran sur une durée de 2h45.


Or, si outre-Atlantique, la démarche d'un «biopic» sur un personnage politique contemporain n'a rien d'original, force est de constater que dans l'Hexagone, c'est presque une révolution. Un défi relevé par Olivier Assayas, sur une idée de Daniel Leconte, sous la houlette de Canal Plus Créations. À la fois film politique et film d'action, Carlos retrace vingt années de terrorisme international à travers la vie de Carlos, mythe vivant de la guérilla clandestine.


Paris, 1973. Mohamed Boudia, le représentant du Front de libération de la Palestine (FPLP) à Paris, est tué, vraisemblablement par le Mossad israélien. Aussitôt, Ilich Ramirez Sanchez (Edgar Ramirez), se rend à Beyrouth. Né à Caracas au Venezuela, fils aîné d'un avocat marxiste qui l'a prénommé d'après Lénine, le jeune homme ne croit plus au dialogue, aux discours pacifistes. Il veut s'engager, y compris par les armes. Le co-fondateur du FPLP, Wadie Haddad (Ahmad Kaabour), en fait le numéro 2 de son groupe en Europe.


Ainsi démarre le destin d'un terroriste internationaliste au nom de code Carlos. Dès 1974, le jeune révolutionnaire commence ses missions, à Londres, puis partout en Europe, à Paris, La Haye ou Vienne. Assassinats, attentats, prise d'otages: il étend peu à peu ses activités à travers le monde. Alger, Belgrade, Budapest ou Berlin, où il vit une passion folle avec Magdalena Kopp (Nora Von Waldstatten).


Au fil des années, Olivier Assayas suit pas à pas les actions de son personnage, de sa première tentative d'assassinat en 1974 sur un homme d'affaires britannique allié d'Israël, jusqu'à son arrestation à Khartoum au Soudan en 1994. Avec en filigrane, cette question ambiguë: qui était réellement Carlos? Révolutionnaire idéaliste, tueur terroriste, ou mercenaire à la solde des dictatures?


Film d'auteur par excellence, co-écrit par Olivier Assayas et le romancier Dan Franck, Carlos mélange séquences filmées et archives d'époque, portrait et chronique d'une époque, avec un suspense et une sobriété hors pair. En cinéaste inspiré, Olivier Assayas exploite tous les champs possibles de son oeuvre, avec une mise en scène pure, soignée, capable de filmer à la fois dans l'action et dans l'intime. En cinéaste sérieux, il parvient à éviter l'écueil du romantisme de pacotille (façon Alexandre d'Oliver Stone) mais rend pleinement hommage à l'envergure romanesque de son «héros».


Et pour porter son film, il possède une arme de choix: le très charismatique Edgar Ramirez, dont il exploite toute la palette de jeu. Puissante incarnation de Carlos, cet acteur polyglotte possède plusieurs points communs avec son rôle, depuis ses origines vénézuéliennes jusqu'à son patronyme «Ramirez», en passant par son physique, cette carrure à la limite de l'embonpoint qu'il a transformée au fil du film pour coller à la réalité de son personnage.


Devant la caméra d'Assayas, il crève l'écran, et tient les spectateurs en haleine, tout au long du film. Qu'il dure 5h30 ou 2h45.