Depuis deux jours, Jacob Tierney est presque malgré lui au coeur d'un débat émotif qui touche l'une des cordes les plus sensibles de la société québécoise: son identité. En déclarant, lors d'une réception tenue après la projection de son film The Trotsky à Los Angeles, que la société québécoise est extrêmement tournée sur elle-même et ignore les anglophones et les immigrants, le jeune cinéaste a jeté un gros pavé. Dont il ne soupçonnait pas la dimension.

«Évidemment, je suis surpris par l'ampleur que cette histoire a prise, a-t-il confié au cours d'un entretien avec La Presse hier. D'autant plus que j'ai souvent exprimé publiquement cette position, non seulement à propos de la représentation, déficiente selon moi, de la diversité dans le cinéma québécois, mais aussi dans le cinéma canadien. Notre cinéma reflète rarement la réalité moderne. C'est surtout cela que je déplore. Il est certain que j'aurais choisi un peu mieux mes mots si j'avais pu en mesurer la portée. Mais sur le fond, j'assume totalement.»

Au moment de la sortie de The Trotsky, il y a deux mois, Tierney déclarait sur toutes les tribunes avoir envie d'un cinéma qui correspond à sa réalité montréalaise, tout simplement parce que celle-ci n'est pratiquement jamais montrée à l'écran. «Ni dans le cinéma québécois franco, ni dans le cinéma québécois anglo, lesquels évoquent souvent une époque révolue. Les deux cultures s'entremêlent rarement», soulignait-il alors.

Tierney déplore en outre que la discussion en soit réduite à une sempiternelle confrontation «francos-anglos», ou «Montréal-régions».

«Il ne s'agit pas de cela, dit-il, mais d'évoquer le simple reflet de la réalité moderne et plurielle qu'on retrouve dans une ville comme Montréal. Dans toutes ses diversités, ethnique, religieuse, sexuelle. Il ne s'agit pas de réclamer une interdiction sur tous les films qui se déroulent dans le passé - il est important que l'histoire soit représentée - mais de dire qu'il faudrait peut-être aussi, à côté, penser à créer des oeuvres qui reflètent la réalité d'aujourd'hui. En français bien sûr.»

Reprenant l'exemple du Prophète, l'extraordinaire film de Jacques Audiard, Tierney fait remarquer que cette histoire prend racine dans l'immigration.

«À cet égard, le Québec dispose d'une histoire tout aussi riche, bien que pratiquement invisible dans sa culture. C.R.A.Z.Y., 1981 et Polytechnique sont des films que j'aime. Vraiment. Tout comme j'estime Luc Picard excellent acteur. Il me semble toutefois qu'en tant que créateurs québécois, il est de notre responsabilité d'élargir un peu notre vision et de faire écho à la mouvance sociale. Qui a lieu maintenant.»

«Je suis Québécois à part entière, poursuit-il. Je suis fier de notre caractère distinct. La culture du Québec est la mienne. Et je veux y participer. Voilà pourquoi je m'implique. J'estime que le débat qui a cours présentement est sain, même s'il a pris une tournure à laquelle je ne m'attendais pas. Depuis deux jours, je me dis qu'il ne doit pas y avoir beaucoup de nouvelles dans l'actualité pour qu'on accorde autant d'attention à mes propos!»