Le festival Fantasia délaisse momentanément le gore, les films d'arts martiaux et autres excentricités cinématographiques dont les festivaliers sont friands pour une soirée placée sous le signe de la poésie. Le film Le sang d'un poète, oeuvre surréaliste en quatre tableaux signée Jean Cocteau, sera projeté sur grand écran et accompagné d'une toute nouvelle trame sonore, composée et interprétée live par Steven Severin, membre fondateur et archiviste désigné du fameux groupe new wave Siouxie&The Banshees.

«Mon premier travail de musique pour un film muet fut pour une oeuvre de Germaine Dulac, il y a deux ans, raconte Severin. Le film durait 32 minutes et n'avait pas de musique originale. À mon sens, le travail sur Le Sang d'un poète est la suite naturelle de cette démarche, dans la mesure où ces deux oeuvres suivent leur propre logique et la trame dramatique s'en trouve fracturée. C'est ce qui me plaît dans ce genre de cinéma, c'est un monde presque magique.» Que Steven Severin s'applique à traduire en musique.

Depuis plusieurs années, Severin explore l'univers de la musique de film, parfois avec sa compagne Arban. Inspiré des Nino Rota, Bernard Hermann, «le travail de Popol Vuh dans les années 1970 sur les films de Herzog et, plus récemment, la musique de Clint Mansell et Howard Shore pour le cinéma de David Cronenberg», le compositeur britannique tisse d'inquiétantes et atmosphériques nappes sonores qui parviennent à colorer des oeuvres cinématographiques pleines d'audace.

«C'est vraiment un défi, puisque je choisis minutieusement mes projets, ajoute-t-il. Mon approche lorsque je commence à travailler sur un film change constamment, j'ai besoin de me faire plaisir en tentant d'embellir les images des autres. Et puisque ma musique en général a déjà cette dimension cinématographique, il n'y a pas de conflit entre mon travail solo, mes chansons originales, et mon travail de compositeur de trames sonores.»

Donner une nouvelle musique au Sang d'un poète de Cocteau représente sans doute un défi d'un autre ordre, compte tenu du récit surréaliste qui a été mis en images par le cinéaste d'Orphée et de La belle et la bête. C'est le légendaire compositeur français Georges Auric qui avait écrit la musique originale (ainsi que celle des deux films sus mentionnés).

«Pour être honnête, indique Severin, je n'ai jamais porté attention à la musique d'Auric, et puisque j'avais l'intention de complètement la refaire, je n'ai pas cru nécessaire de l'étudier ou de la citer dans ma trame sonore. De toute façon, 80 ans nous séparent de l'oeuvre originale; mon rôle est de faire revivre ce film pour un auditoire d'une autre époque. Ce qui est sûr, c'est que j'ai traité l'oeuvre de Cocteau avec tout le respect qu'on lui doit, et j'espère que le public le reconnaîtra.»

Severin live

Severin, qui interprétera en direct la musique pendant que les images défileront, «seul, avec mon ordinateur portatif, plongé dans le noir, sur le côté de la scène», espère ensuite sortir en CD la trame sonore qu'il a conçue, pour le label Cold Spring.

Témoin privilégié de la scène punk britannique - il faisait partie de l'infâme Browmley Contingent, ce groupe de fans qui accompagnaient les Sex Pistols à leurs concerts -, Severin faisait la rencontre de Siouxie Sioux au milieu des années 70, mais lançait sa carrière avec les Banshees deux ans plus tard. En 12 albums, jusqu'à la dissolution du groupe en 1995, Siouxie&The Banshees a défini le son new wave/cold wave des années 80, avec The Cure, Depeche Mode et autres monstres de l'époque.

Visiblement, les Banshees sont loin derrière Severin, qui pilote tout de même depuis six ans les rééditions du riche catalogue du groupe.

«Mais tout le programme de rééditions a été mis sur la glace à cause de la crise économique, déplore Severin. Les gens chez Universal ont trop peur que la hache soit mise dans l'entreprise pour s'engager davantage dans ce projet qu'ils considéraient déjà stupidement comme trop risqué et difficile. On négocie pour rééditer les quatre derniers albums sur un autre label, le résultat final sera bien meilleur que ce qu'on pouvait faire avec Universal.»

Le sang d'un poète est projeté ce soir au Théâtre Rialto à 21h30.