Depuis La chair de l'orchidée, son premier film, Patrice Chéreau n'a de cesse de creuser le sillon du désespoir amoureux. Persécution fait écho au questionnement intime d'un homme qui cherche toujours à comprendre.

Patrice Chéreau l'écrit en toutes lettres dans les notes de production: «Le personnage de Daniel possède des choses qui me rapprochent de lui, voire que je déteste en moi. J'ai donc commencé à écrire une quinzaine de lignes sur le cas d'un homme qui ne saurait aimer que dans la réclamation et le sentiment du deuil.»

Vaste programme, assorti d'un exercice douloureux.

«L'écriture de ce film fut très compliquée, a confirmé cette semaine le célèbre metteur en scène français au cours d'un entretien téléphonique. Il a fallu beaucoup de temps et de travail pour sortir des sentiers autobiographiques et accoucher d'une histoire autonome, qui soit moins collée à moi. Les préoccupations restent toujours les mêmes, cela dit.»

Le cinéaste, qui a été très pris par le théâtre et par l'opéra depuis Gabrielle, sorti il y a six ans («déjà?» dit-il), a toutefois pu compter sur l'appui d'un collaborateur dévoué. Romain Duris a été du projet dès le départ, avant même qu'un scénario n'existe. L'acteur a été un interlocuteur précieux.

«Quand j'ai vu Romain dans De battre mon coeur s'est arrêté, j'ai tout de suite eu envie de travailler avec lui, explique le cinéaste. Il était très clair dans mon esprit qu'il serait parfait pour le rôle de Daniel. Romain a été d'une disponibilité exemplaire. Il a accompagné l'écriture du scénario et nous avons beaucoup discuté. Au moment du tournage, il n'a jamais hésité à se rendre dans des zones encore inexplorées. Vraiment, Romain m'a impressionné par la puissance de son jeu. À mon avis, il offre quelque chose d'exceptionnel dans ce film.»

L'exercice était d'autant plus périlleux que ce fameux Daniel n'est pas un personnage «aimable» de prime abord. Le genre de type à la fois séduisant et irascible qui se torture l'esprit à un point où ses réclamations permanentes en viennent à peser lourd sur les autres. Ses exigences en amour et en amitié font de lui le «persécuteur» de l'histoire, même si son amoureuse, très patiente (Charlotte Gainsbourg), essaie tant bien que mal de gérer toutes ses insécurités. En contrepoint, un personnage de «fou» (Jean-Hugues Anglade) qui débarque inopinément dans la vie de Daniel en lui déclarant un amour absolu. Et en le harcelant.

«J'ai préféré le mot «persécution» au mot «harcèlement», car il est plus incisif, plus déstabilisant, déclare Chéreau. Avec ma collaboratrice Anne-Louise Trividic, nous trouvions intéressant de juxtaposer la persécution inconsciente qu'inflige Daniel à ceux qui l'entourent en réclamant toujours des preuves d'amour, et celle, plus directe, plus certifiée, à laquelle s'adonne le personnage du fou envers Daniel.»

Un fil conducteur

D'aucuns seraient tentés de trouver dans cette histoire une parenté avec L'homme blessé, un film dans lequel un adolescent tentait de combler sa quête d'absolu dans la douleur amoureuse. L'idée n'a pourtant jamais traversé l'esprit du cinéaste.

«J'ai lu cela dans les journaux français au moment de la sortie du film et j'avoue avoir été un peu étonné. Vraiment, je n'y ai jamais songé. C'est probablement dû à la présence de Jean-Hugues Anglade. Mais Jean-Hugues n'est plus du tout l'ado que j'ai filmé il y a 27 ans. Personnellement, je ne vois pas de lien particulier entre les deux films, sinon celui qui relie tous mes films en fait.»

Quand on lui demande s'il considère Persécution comme étant le film le plus «personnel» qu'il ait réalisé, Patrice Chéreau ne souscrit pas vraiment à la proposition.

«Si l'on accole une connotation autobiographique au mot «personnel», je dis que ce film ne l'est ni plus ni moins que les autres. Tous mes films me sont personnels. Même une fresque comme La reine Margot. Il y a forcément une part de moi dans tout ce que je fabrique.»

Le cinéaste affirme par ailleurs avoir aujourd'hui plus de difficulté à monter ses projets de cinéma qu'auparavant.

«Mais je fais partie des privilégiés qui ont encore la possibilité de tourner les films qu'ils ont envie de faire. À mon avis, il n'y a aucun intérêt à raconter des histoires heureuses. De plus, mon cinéma s'adresse aux adultes. Or, les adultes se déplacent de moins en moins pour aller voir des films. Ce genre de drame est moins viable sur le plan commercial qu'il ne le fut à une certaine époque, les salles étant remplies d'ados et de tout jeunes adultes.»

Le grand invité du Louvre

Depuis des mois, Patrice Chéreau mène plusieurs projets de front en vue d'un grand événement au musée du Louvre, qui s'étendra sur trois mois à partir de novembre. En sa qualité de «grand invité» 2010, l'artiste proposera, à l'intérieur du musée, des pièces de théâtre, une exposition, de la danse, de la musique filmée, des concerts, autant de disciplines liées à un thème: «Les visages et les corps». Pour l'occasion, il mettra notamment en scène Rêve d'automne, une pièce du Norvégien Jon Fosse; Valeria Bruni-Tedeschi et Pascal Greggory, des habitués, font notamment partie de la distribution. Romain Duris dira de son côté les mots de Bernard-Marie Koltès dans La nuit juste avant les forêts, un solo.

«Il y aura bien d'autres choses, prévient le principal intéressé. Cet événement m'occupe beaucoup, mais il ne m'empêche pas de penser à mon prochain film. J'en suis présentement à l'étape de l'écriture. Et je ne veux pas en dire plus!»

Persécution est présentement à l'affiche.