Pour ses 80 ans, Hugh Hefner, grand patron de Playboy, a accueilli des centaines d'invités à sa Mansion d'Holmby Hills près de Los Angeles. Dont la réalisatrice canadienne Brigitte Berman qui, à cette occasion, a eu l'idée de tourner un documentaire sur sa vie. À l'occasion de la sortie de Hugh Hefner - Playboy, Activist and Rebel, La Presse s'est entretenue avec l'homme aux 700 «playmates».

«Je vis la meilleure période de ma vie...» Au bout du fil, la voix est solide, contrairement aux mains tremblantes du même homme tournant les pages de ses scrap-books dans Hugh Hefner - Playboy, Activist and Rebel, documentaire qui a pris l'affiche hier au cinéma AMC FORUM.

Dans ce documentaire, le célèbre hédoniste américain raconte comment, à Chicago en 1953, il a lancé la revue Playboy avec, comme première vedette des pages centrales, Marilyn Monroe, dont la photo, un des plus célèbres nus de l'Histoire, était destinée à un calendrier de garage.

L'empire Playboy venait de naître, et son fondateur allait choisir personnellement chacune des quelque 700 «playmates» qui se sont succédé à ce jour dans le dépliant central de son magazine de «divertissement pour hommes». De grands noms de la littérature mondiale y ont signé des textes, tandis que la Playboy Interview a ouvert ses pages à des personnalités aux horizons aussi divers que Fidel Castro, Howard Cossell et... Jean-Paul Sartre.

«Au début, nous dit M. Hefner, jamais je n'aurais pensé que Playboy deviendrait ce qu'il est devenu. Cela a dépassé mes rêves les plus fous...» Pour ce documentaire financé en partie par Téléfilm Canada, Hugh Hefner, 84 ans, a donné un accès «total» à la réalisatrice canadienne Brigitte Berman qu'il connaît depuis longtemps. «Brigitte avait gagné un Oscar pour son film sur Artie Shaw, un de mes jazzmen préférés. Avant, elle avait fait un autre film sur un autre de mes favoris, Bix Beiderbecke. Nous sommes devenus amis.»

Et la réalisatrice d'origine allemande a commencé à fréquenter la Playboy Mansion de Hollywood, où Hugh Hefner et sa suite se sont installés en 1975. «J'assistais souvent aux soirées de cinéma de la Mansion, indique la documentariste, jointe à Toronto, où elle vit avec son compagnon-producteur, Victor Solnicki. Surtout le vendredi, pour les vieux films.»

L'autre face de Hefner

Comme Paris Hilton, Mme Berman comptait parmi les centaines d'invités au party du 80e anniversaire de «Hef», en avril 2006 à la Mansion de Holmby Hills, où ses trois blondes «en résidence» - «J'en ai déjà eu sept, mais la compétition entre les filles étaient trop forte» sont aussi les vedettes de la télésérie The Girls Next Door (E! Channel). C'est à cette super-boum que Brigitte Berman a eu l'idée du film. «Il y a le playboy, bien sûr, à l'avant-scène avec toutes ces blondes. Mais j'ai voulu explorer l'autre côté de Hugh Hefner: l'homme qui a mené des combats importants pour faire avancer les choses.»

L'égalité raciale, entre autres, comme en témoigne le pasteur Jesse Jackson, qui évoque les visites de Martin Luther King à la Mansion de Chicago (on apprendra, après sa mort, que le révérend s'intéressait de près au salut personnel de plusieurs de ses fidèles de sexe féminin...). Hefner y ouvrira le premier Playboy Club en 1960, qui comptera plus de 100 000 membres un an plus tard, de toutes les couleurs.

Deux ans, plus tard, quand les clubs de Miami et de la Nouvelle-Orléans refuseront les Noirs, Playboy rachètera les concessions et abolira cette discrimination (un Playboy Club a été ouvert à Montréal en même temps qu'Expo 67).

Des musiciens et chanteurs noirs côtoyaient déjà leurs collègues blancs - du jamais vu - à l'émission de télé-variétés Playboy Penthouse, où Hefner, smoking et pipe au bec, recevait les Tony Bennett, Dizzy Gillespie et Sammy Davis Jr. Tout comme plus tard, pendant la guerre du Vietnam, il invitera des figures contestataires comme Pete Seeger et Joan Baez, qu'il faut voir, dans sa robe droite, chanter son protest song devant de jeunes couples de swingers urbains nouvelle vague!

FBI, féministes

Et il y a ces batailles contre les postes (qui refusent de livrer du matériel «pornographique») et le FBI, qui tente d'inculper Hefner sous de fausses accusations d'usage de drogue.

Au début des années 60, M. Playboy doit faire face à un nouveau type d'ennemi: les féministes, dont les vues sur la révolution sexuelle ne concordent pas vraiment avec la «philosophie Playboy» élaborée par Hefner. «J'aimerais vous voir avec une queue de coton au cul», lui lance Susan Brownmiller au cours d'une confrontation télévisée où, évoquant le costume de lapin des bunnies, elle accuse Hefner de traiter les femmes comme «des objets sexuels». Réponse de l'accusé, 40 ans plus tard: «La femme EST un objet sexuel. Sinon ce serait la fin de l'humanité...»

M. Hefner ne manque pas de blondes, on le sait, mais commence-t-il à manquer d'ennemi (e) s? «Oh! J'ai rangé mon épée. Mais, même si le climat social a changé depuis les débuts de Playboy, il y a encore beaucoup de controverse. La droite religieuse, qui est devenue une force sous Ronald Reagan, est toujours présente dans la vie politique américaine.» Et dans le film de Brigitte Berman, qui dit aimer l'équilibre amis/adversaires de son oeuvre.

Hugh Hefner - Playbloy, Activist and Rebel, historiquement intéressant, mais longuet à 124 minutes, se termine avec un vieillard qui, dans son pyjama de soie, affirme être encore «au sommet de (sa) forme» pour les girls: à elles trois, les plus blondes que blondes ne font pas encore son âge. D'aucuns y voient la risible caricature d'un style de vie passé; d'autres, comme le rocker Gene Simmons de Kiss, parlent d'un bonheur en tous points enviable.

Pour Hugh Hefner le playboy, il semble que ce soit la seule suite, et seule fin logique, avant d'aller s'étendre à jamais au cimetière de Westwood. À côté de Marilyn.