Hier, à la veille de la première au FFM de son film Dans la brume électrique, Bertrand Tavernier pestait. Pas contre ce film tourné en Louisiane qui a fait l'objet d'une bataille épique entre lui et ses producteurs. Il pestait contre le FFM qui a décidé de présenter son nouveau film, La princesse de Montpensier, en clôture alors qu'il sera à Telluride. Rencontre avec un sympathique bougon.

«Non mais j'en ai rien à foutre, moi, de la clôture! Ce qui m'intéresse, c'est le public. Et là, le public, il va penser quoi en voyant que je ne suis pas là? Il va penser que je manque de considération pour lui et pour mon film! Quelle connerie!»

L'entrevue avec Bertrand Tavernier n'avait pas encore commencé que ce dernier râlait déjà. Contre le FFM, contre Serge Losique et contre le distributeur qui a fait la gaffe d'envoyer à des journalistes d'ici une version doublée plutôt que sous-titrée du DVD de Dans la brume électrique.

Bertrand Tavernier avait tellement de broue dans le toupet que j'ai hésité à lancer le débat au sujet de Dans la brume électrique, oeuvre noire tirée d'un roman de James Lee Burke mettant en vedette Tommy Lee Jones dans la Louisiane post-Katrina, qui s'est soldée par une guerre juridique et par deux versions du film.

La première de 115 minutes montée par Tavernier a été distribuée partout dans le monde sauf aux États-Unis. La deuxième de 98 minutes, remontée par le producteur américain Michael Fitzgerald, est sortie seulement en DVD au Canada et aux États-Unis.

J'avais vu les deux versions et même si celle de Tavernier m'était apparue plus atmosphérique, langoureuse et personnelle, je n'ai pas détesté la version plus sèche des Américains. Mais ce n'est pas une chose que Bertrand Tavernier avait envie d'entendre. Pas plus qu'il n'avait envie de se faire dire que le conflit qui l'a opposé aux Américains était peut-être en fin de compte une affaire de vision et de culture, les Américains cherchant à faire avancer le récit pendant que Tavernier, l'Européen, cherchait à saisir l'émotion du moment. Chose certaine, la meilleure façon de le faire bondir est de lui parler d'efficacité cinématographique.

«Mais de quoi on parle? De Angelina Jolie dans Salt qui pendant 12 minutes saute d'un camion à l'autre. Vous trouvez ça efficace? Moi, tous ces films soi-disant efficaces qui semblent avoir été fabriqués par des analphabètes de 12 ans m'assomment. Quand j'entends le mot efficacité, ça me fait penser à Chabrol qui disait que le maître de l'efficacité était Hitler, preuve que l'efficacité n'est pas nécessairement une qualité.»

Dans la brume électrique est le troisième film que Tavernier tourne aux États-Unis après Autour de minuit et le documentaire Mississippi blues. Il raconte que pour les deux premiers, il a eu carte blanche. Ç'aurait pu être le cas pour le film louisianais si la mésentente et les problèmes d'ego ne s'étaient pas mis de la partie.

«Je suis un grand fan du cinéma américain. Surtout celui des années 40 et 50. J'aime aussi les films des frères Coen et de Clint Eastwood, qui est un ami. Mais je n'envie pas le sort des metteurs en scène américains qui sont traités comme des mercenaires et je n'aime pas ce système où l'on paie 6 millions de dollars pour le scénario de Robin des Bois et dont il ne reste rien parce qu'en cours de route Russell Crowe a décidé de ne plus jouer le shérif de Nottingham. Je suis heureux de ne pas vivre dans un tel système.»

Pourtant la France n'est pas toujours un modèle. Tavernier en sait quelque chose, lui qui faute de financement a dû reporter cinq fois le tournage de La princesse de Montpensier, une jeune noble contrainte d'épouser un prince qu'elle n'aime pas dans la France du XVIe siècle. Pendant que le film sera projeté à Montréal en clôture du FFM, Bertrand Tavernier, lui, sera en route pour le festival du film de Telluride au Colorado.

En attendant, ce soir on le retrouvera à l'Impérial pour la première de Dans la brume électrique. Et demain à 14 h, il rencontrera le public à librairie Renaud-Bray sur Saint-Denis pour une séance de signature du livre Pas à pas dans la brume électrique, le récit du tournage publié chez Flammarion. Puis ce sera le départ pour Las Vegas où il ira retrouver sa femme et le réalisateur Stephen Frears avant de prendre la route pour le Grand Canyon et ses brumes... matinales.