Dans la neige pour échapper à la geôle  (Essentials Killing, du Polonais Jerzy Skolimowski) ou relégués au coeur du désert de Gobi (Le Fossé, du Chinois Wang Bing), sur la plage pluvieuse du Lido, les héros de la Mostra ont la rage de survivre.

Sélection surprise de la compétition officielle dévoilée lundi, Le Fossé (The Ditch) restitue une page cruelle de l'édification du Socialisme à la chinoise.

1960, au coeur du désert de Gobi, dans l'ouest de la Chine, nul besoin de barbelés ou de miradors pour garder les réprouvés accusés de «dérive droitiste»: le désert et le vent glacé s'en chargent. Entre bise et poussière, mal abrités dans des tranchées creusées à même la pierre, 1500 rescapés du camp de rééducation de Jiabiangou prennent leurs nouveaux quartiers dans un camp annexe.

Bientôt dispensés des travaux forcés faute de nourriture, ils sont appelés par leur gardien à trouver eux-mêmes de quoi s'alimenter: «L'édification du socialisme connaît actuellement quelques revers», justifie le kapo.

Quelques graines et racines, un mulot pour les plus chanceux, et bien vite les morts, à leur tour, sont convoités par les survivants...

Sur les 1500, à peine 300 en sortiront: c'est leur mémoire que le réalisateur, qui signe sa première fiction après des années de documentaires, a voulu retracer le plus fidèlement possible.

«J'ai retrouvé et interrogé plus d'une centaine de survivants. Je voulais comprendre la mentalité de l'époque et restituer la vérité historique», a-t-il expliqué lundi à Venise.

L'un de ces rescapés, un vieillard noueux que l'on voit écraser une plante sèche entre ses mains calleuses, joue son propre rôle, parmi de jeunes acteurs qui font leurs débuts à l'écran (Lu Yé, Xu Cenzi) et des figurants recrutés localement.

Wang Bing, né en 1967, se défend d'avoir tourné «un film de dénonciation: c'est d'abord un travail de mémoire», insiste-t-il. «L'important, c'est de parler du passé».

Une mémoire difficile à revisiter: le film a été entièrement tourné dans le désert de Gobi entre la province de Gansu et la Mongolie, en plein hiver par des températures jusqu'à -20°C, et surtout sans autorisation officielle, avec la crainte constante d'une intervention qui suspendrait le projet. Sa diffusion en Chine n'est pas encore assurée.

La rage de voir le jour se lever, c'est aussi l'argument du film de Jerzy Skolimowski, «Essential Killing»: capturé en Afghanistan par l'armée américaine et déporté vers l'une des bases secrètes de la CIA en Europe centrale, son héros (Vincent Gallo) profite d'un accident de la route pour s'enfuir.

Confronté à la rigueur absolue de la nature alentour, des forêts enneigées à mille lieues de son paysage natal, il se lance dans une fuite à perdre haleine - et perdue d'avance - entre les chiens, les hommes et les loups.

«C'est un animal en fuite, qui tue parce que c'est sa seule chance de survivre», résume le réalisateur. «On ignore tout de cet homme, s'il est vraiment terroriste ou s'il se trouvait juste au mauvais endroit, au mauvais moment. Il aurait pu naître Joshua, John ou Giorgio».

En 83 minutes, pas un mot n'est prononcé. Seul résonnent le souffle du fugitif, ses gémissements parfois, sur la neige souvent rougie de sang. La seule personne qu'il croise sans l'occire est une paysanne muette (Emmanuelle Seigner).

Vincent Gallo, qui présente également un film comme réalisateur (Promises written in water) «s'est proprement torturé pour ce rôle», a insisté, admiratif, Skolimowski.

La Mostra s'achèvera samedi, par la proclamation du Palmarès.