La Mostra de Venise a découvert mercredi la cruelle histoire de la Vénus noire, née dans le bush africain et morte dans un bordel français, disséquée par le Musée de l'Homme à Paris et ressuscitée, 200 ans plus tard, par le cinéaste français Abdellatif Kechiche.

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En lice pour le Lion d'Or, le film - dernier français en compétition - s'achève sur les images (réelles) du retour des restes de Saartjie Baartman en Afrique du Sud en 2002, à la demande du président Nelson Mandela.

Vénus callipyge, Saartje («petite Sarah» en afrikaner), fille de paysan bochiman, est amenée au début du XIXe siècle en Europe par un fermier fruste, Caezar, qui en exhibe les courbes et l'anatomie particulière.

Comme les documents d'époque l'attestent, la jeune femme présente non seulement une hypertrophie des hanches et des fesses mais aussi un sexe particulièrement volumineux, le «tablier hottentot» qui intrigue fortement les naturalistes.

??Londres, on se presse pour voir la Vénus noire encagée. Puis Réaux (Olivier Gourmet), un montreur d'ours, l'emmène à Paris divertir les salons libertins où ses attributs font sensation.

Pour Yahima Torrès, qui incarne Sarah, jeune beauté cubaine repérée en 2005 par le réalisateur dans une rue de Belleville à Paris, cette scène-là fut la plus pénible de toutes: «Elle est humiliée, tout le monde la touche, la frappe... Je n'ai eu aucun mal à pleurer, je n'avais qu'à me mettre à sa place», a-t-elle témoigné mercredi.

Sarah finira dans un bordel. À sa mort, Georges Cuvier, l'un des pères de l'anatomie moderne, obtient de la disséquer et d'en conserver le squelette, ainsi que les fesses et les organes génitaux placés dans le formol. Ses restes seront exposés au Musée de l'Homme jusqu'au début du XXe siècle.

Abdellatif Kechiche - récompensé à Venise en 2007 par le Grand Prix du Jury pour La graine et le mulet -, s'est appuyé sur les nombreux documents d'époque, dont un procès fait à Caezar à Londres, pour raconter une histoire qui se veut aussi une réflexion sur la dilution des responsabilités dans la meute: «À partir du moment où on est plusieurs à regarder, on se sent moins responsable».

Mais «l'acte le plus barbare», estime-t-il, fut la dissection de cette femme: elle avait refusé de son vivant de se montrer aux scientifiques, qui n'ont pas hésité pourtant, après sa mort, à violer sa volonté: «Jusqu'où peut-on aller pour réaliser une ambition?» demande-t-il.

Interpellé en conférence de presse sur la longueur du film (2 heures 39) et sur la répétition de scènes d'exhibition, qui placent le spectateur dans la position du voyeur de l'époque, il s'est défendu de toute complaisance: «On a une progression dans l'exhibition du corps, un chemin vers l'abîme, jusqu'à l'épuisement, puis la mutilation».

Cette histoire de classe, de mépris et de préjugés reste «hélas très contemporaine», estime-t-il aussi, en dressant le parallèle avec les expulsions de Roms, en France.

«On vit une période où les mots sont libérés sur le racisme et la xénophobie. J'ai voulu rappeler un passé qui n'est pas si lointain ni très glorieux pour nous Français. Et dire aussi: attention à l'étranger qui vient vers nous, à ne pas le considérer comme un être différent ni à le mépriser».

Plus intimiste - et plus abscons -, l'autre film du jour en sélection officielle, Attenberg, de la réalisatrice grecque Athina Rachel Tsangari, met en images les interrogations d'une jeune femme sur le sens de la vie et son apprentissage sexuel.