En présentant son film Tête de Turc au Festival des films du monde (où il a gagné le Prix de la mise en scène), le réalisateur Pascal Elbé a évoqué une «actualité brûlante». En effet! La cité, les jeunes, l'exclusion, l'immigration sont les thèmes de ce film fait de violences, de silences et d'une recherche de tolérance. La Presse a rencontré Pascal Elbé.

Un jeune Français d'origine juive torturé à mort durant trois semaines dans la cave d'une cité sans que personne n'ouvre la bouche par peur de représailles.

Pourtant, 300 personnes étaient au courant, affirme le réalisateur Pascal Elbé en décrivant le meurtre sordide de Ilan Halimi survenu début 2006. L'affaire a fait grand bruit en France, où plusieurs membres du «gang des barbares» ont été reconnus coupables.

Sur la terrasse d'un hôtel du centre-ville où il enchaîne les entrevues, le réalisateur Pascal Elbé énumère d'autres exemples -réels- de crimes haineux commis dans son pays et conclut en exprimant son dégoût face au silence des voisins, des amis, des témoins.

Pourtant, dit-il, son film Tête de Turc n'est pas issu d'un de ces faits divers survenus dans l'Hexagone. «C'est parti d'une prise de conscience, assure le réalisateur. J'avais envie de parler de responsabilité au sein d'un polar policier. Je ne voulais pas faire un film qui soit un tract politique. Je voulais qu'il passe par l'émotion et soulève des questions de société, d'actualité, sans que ce soit pour autant un film à message.»

Résumons. Dans une cité, quelques jeunes perchés sur un toit attaquent la voiture d'un médecin urgentiste. L'un d'eux, Bora, lance un cocktail Molotov sur le véhicule et... sauve le médecin d'une mort certaine. Pour calmer la grogne dans la ville, les autorités proposent de punir le coupable et de récompenser le héros, sans savoir qu'il s'agit d'une seule et même personne. Lorsque Bora veut se livrer aux autorités, son entourage se rebiffe, de peur de perdre des acquis.

Un film de culs-de-sac -au pluriel- donc, par lequel Elbé cherche à «réorganiser le dialogue». C'est aussi cela, le but du cinéma, défend-il.

Dans cette France qui vit, dixit le réalisateur, dans une «dérive sécuritaire», reprendre le dialogue devient impératif. «En France, nous avons une vraie rupture. Il n'y a plus de communication, dit-il. Les policiers comme les jeunes des cités se considèrent tous victimes, mais pas responsables.»

Le réalisateur n'excuse pas les actes de violence: «Quand vous écoutez ces gamins-là, ils réclament des droits tout le temps, mais ils n'ont aucun devoir.»

Entraide et solidarité

Pascal Elbé affirme ne pas avoir voulu se servir de la cité pour faire son film. «Je n'ai pas mis du rap, de la musique et des «ghetto blaster» pour faire un film de banlieue, dit-il. Non, j'ai utilisé le silence. Lorsque j'étais là-bas, j'ai entendu beaucoup de silence, de solitude, beaucoup de fantômes qui circulent entre les couloirs. J'ai senti la désolation, l'abandon.»

Ça, c'est un côté de la réalité. Le seul (avec les actes de violence) véhiculé par les médias, parce que ça fait vendre, poursuit Elbé.

Refrain connu ici. On lui demande donc d'élaborer sur l'autre facette. «La cité est un genre de cocon où les gens ont les mêmes références, les mêmes codes, répond-il. Il y a beaucoup d'entraide et de solidarité, même si la façon dont les gens se parlent entre eux est terrible.» Ces propos font écho au contenu du film.

Le réalisateur, qui a tourné son film à Saint-Germain-en-Laye, près de Paris, a fait appel à plusieurs habitants de la cité pour jouer de petits rôles, faire de la figuration ou travailler en régie. Une expérience enrichissante d'un côté comme de l'autre, assure Pascal Elbé.

«J'ai rencontré des gamins qui ont une vraie énergie, une vraie inventivité, dit-il. Il y a une vraie culture de la cité, à condition de ne pas les y enfermer.»