Au début des années 60, le Québec change littéralement de peau. Aux premières loges, de jeunes cinéastes aux idées neuves captent l'essence de cette transformation. Mais ils sont aussi des vecteurs de changement. À l'aube du 50e anniversaire de la Révolution tranquille, la Cinémathèque québécoise a eu l'heureuse idée d'y revenir en images.

Des jeunes qui vont en boîte, contestent l'ordre établi, courent à poil dans les champs, s'engueulent avec des messieurs cravatés. De jeunes hommes qui rejettent la tendresse. De jeunes femmes qui s'interrogent sur la maternité, le travail, la famille.

Vous discernez des ourlets de la Révolution tranquille? Touché!

Rarement période de l'histoire fut-elle marquée par autant de bouleversements sociologiques, politiques, culturels, éducationnels, économiques et autres en si peu de temps.

C'était il y a 50 ans, à l'aube des années 60. Pour cette période anniversaire (il n'y a pas de date définie), la Cinémathèque québécoise ressort de ses coffres quelques films à la fois témoins et vecteurs de cette métamorphose. Ils seront présentés sous la forme de soirées thématiques (gratuites) en compagnie d'acteurs de l'époque: Bernard Landry, Denis Héroux, Anne Claire Poirier, Pierre Patry et plusieurs autres.

Thème éculé, la Révolution tranquille? Pour certains, peut-être. Mais le point de vue proposé ici est intéressant, éloquent, unique. Voici une bande de jeunes cinéastes, réalisateurs, producteurs et comédiens qui n'ont pas froid aux yeux. Ils ont vu ce qui se passe de l'autre côté de l'Atlantique avec la Nouvelle Vague. En parallèle, les techniques de travail se transforment. Les équipements s'allègent.

Résultat: ces jeunes mettent au point une technique cinématographique permettant de capter à la fois le son et l'image. Ils appellent ça le «cinéma vérité» ou encore le «cinéma direct». Dans l'air du temps, les films sont bruyants, hachurés, syncopés, nerveux. Il en ressort de purs bijoux à voir ou à revoir au cours de cette rétrospective.

Prenez Trouble-fête de Pierre Patry, film extraordinaire sur de jeunes étudiants au carrefour de l'adolescence et de la vie adulte et dont chaque prise de vue est jouissive. On y retrouve, parmi d'autres, une Louise Rémy absolument craquante et un Yves Corbeil très juste dans son rôle d'étudiant ténébreux.

Prenez Ti-Coeur de Fernand Bélanger, film déjanté mettant en vedette un Claude Dubois méconnaissable. Prenez Kid sentiment de Jacques Godbout où la musique yéyé des Sinners cède le pas aux réflexions baveuses de ses initiateurs. Prenez De mère en fille, film philosophique et poétique d'Anne Claire Poirier qui traite de sujets (les garderies) qui, s'ils sont encore d'actualité de nos jours, devaient sans doute être qualifiés d'avant-gardistes (un mot trop faible?) il y a un demi-siècle.

Mutation sociale

«Plus qu'un événement, la Révolution tranquille a constitué une mutation sociale magistrale, plaide Fabrice Montal, conservateur à la Cinémathèque et organisateur des quatre soirées. Bien sûr, il n'y a pas qu'au Québec où les choses changeaient, mais ici, la population avait été si longtemps captive du clergé que les effets ont été beaucoup plus forts.»

Dans cette mouvance, les cinéastes avaient ceci de particulier qu'ils filmaient le changement et en étaient aussi les vecteurs, ou à tout le moins des agents de transmission. Ils pratiquaient un «travail autoréférentiel très fort», poursuit M. Montal.

Un des invités de la première soirée thématique, le réalisateur Denis Héroux, rappelle que les avancées technologiques ont favorisé ces bouleversements. «La nouvelle technologie a amené un nouveau langage et une nouvelle forme d'art», observe-t-il.

L'histoire est bien connue de ce jeune Héroux qui, alors étudiant à l'Université de Montréal, concocte un long métrage, Seul ou avec d'autres, avec ses camarades Denys Arcand et Stéphane Venne. Il n'hésite pas une seconde à prendre le téléphone et à joindre à l'ONF un jeune directeur photo nommé Michel Brault avec la certitude qu'il acceptera de participer au film. «Comme disait le slogan, tout nous paraissait possible», dit le réalisateur de Valérie, Quelques arpents de neige et autres.

Pour Anne Claire Poirier, qui entre à l'ONF en 1960 et devient alors la seule femme à travailler en réalisation, l'époque est foisonnante. Le cinéma canadien se sublime du documentaire traditionnel sur les patates de la Saskatchewan à ce cinéma vérité qui «alimentait la flamme» de l'engagement direct et collectif.

«Nous sommes passés à un cinéma social et très engagé dans les changements sociaux, dit-elle. Ces films suivaient les mouvements de demande d'ouverture.»

À ses yeux, l'ONF était alors une maison «très éveillée et très ouverte» sur tout ce qui se passait au sein de la société.

«Il y avait tellement d'ébullition dans l'air à cette époque... C'était une participation à une réalité sociale qui était très forte», poursuite la réalisatrice d'À tout prendre.

En tant que femme, Anne Claire Poirier aura à affirmer son autonomie et son identité. En général, elle bénéficiait de l'appui de ses collègues masculins. Claude Jutra et Michel Brault lui ont appris son métier «avec générosité», dit-elle. Mais elle se doute bien qu'il y a eu, à l'occasion, des murmures dans son dos.

«Un jour, en raison des sujets que je proposais, un directeur de production m'a dit qu'il fallait que je fasse oublier aux gens que j'étais une femme. Je lui ai répondu: «Si je ne suis pas une femme, je suis quoi? Je ne suis rien.»»

Comme tous ses collègues, la réalisatrice a laissé des traces dans l'histoire et donné tout son sens au mot «affirmation». Les films présentés nous le rappellent.

Il y a 50 ans... la Révolution tranquille, les 14, 21, 28 septembre et 5 octobre, à la Cinémathèque québécoise. Infos : www.cinematheque.qc.ca

LES SOIRÉES THÉMATIQUES

Thème: Une jeunesse engagée

Extraits de films projetés : Jeunesse année 0 (1965) de Louis Portugais ; Jusqu'au cou (1965) de Denis Héroux

Animateur : Marc Laurendeau Invités : Denis Héroux et Bernard Landry

Date : 14 septembre Thème: La crise des valeurs Films projetés : Trouble-fête (1964) de Pierre Patry ; Kid sentiment (1967) de Jacques Godbout Animateur : Denys Desjardins Invités : Pierre Patry, Jacques Godbout et Jean-Claude Lord

Date: 21 septembre

Thème: Le Ti-Pop, mouvement méconnu

Films : Patricia et Jean-Baptiste (1966) de Jean-Pierre Lefebvre; Ti- Coeur (1969) de Fernand BélangerAnimateur : Michèle Garneau Invités : Plusieurs invités dont les noms restent à venir

Date: 28 septembre

Thème: La parole des femmes Films projetés: La beautémême (1964) de Monique Fortier; De mère en fille (1967) d'Anne Claire Poirier

Animatrice: Lise Payette

Invités : Monique Fortier et Anne

Claire Poirier

Date: 5 octobre