C'est tout simplement énorme. Jamais on n'aura vu un aussi gros battage médiatique autour d'un aussi petit film - petit par son budget ridicule de 600 000 $, notamment. Cela ne garantit pas à tous les coups un triomphe commercial, mais, pour la sortie de ses Amours imaginaires en France, Xavier Dolan a droit en France à un traitement royal qu'on réserve habituellement à des superstars comme Tarantino ou Wong Kar-Wai.

Pour un film d'auteur sans vedettes et tourné avec des moyens dérisoires, Les Inrockuptibles, hebdo culturel plus que branché, a envoyé à Montréal un journaliste qui en est revenu avec un reportage de quatre pages qui commence en ces termes: «Le cinéma canadien a enfanté un petit prodige. À 21 ans, Xavier Dolan a imposé en deux films une fraîcheur de ton et une virtuosité d'écriture emballantes.»

Un autre hebdo, beaucoup plus conservateur, Le Point, lui fait l'honneur exceptionnel d'une page entière sous le titre «Le Radiguet du cinéma». Raymond Radiguet était un brillant jeune homme du début du XXe siècle, auteur de deux romans à 20 ans, mort une année plus tard. Cocteau était amoureux de lui. «Vorace, original, à 21 ans, le Québécois enthousiasme... Les amours imaginaires est une bombe qui explose de partout en éparpillant les moments de grâce visuelle...»

Nul doute que le personnage de Xavier Dolan y est pour quelque chose dans cet engouement. À Paris, on n'a pas le souvenir d'un tel énergumène, débarquant à la Quinzaine des réalisateurs de Cannes à 20 ans avec son premier film, revenant l'année suivante en sélection officielle (Un certain regard) avec un nouveau film tourné. Sans compter que «le jeune prodige» - dixit l'animateur du Grand journal à Canal+ - est déjà en train de préparer son troisième long métrage. Cette fois avec le Français Louis Garrel en vedette, un budget de 9 millions de dollars et une participation minoritaire des productions Mk2 en France.

«Gracile et brillant à la ville», comme l'écrit Le Point, le nouveau Petit Prince francophone du septième art a l'air de trouver tout cela parfaitement normal. «Bof, vous savez, je me suis retrouvé directement à Cannes avec mon premier film. C'est comme ça...» constate-t-il devant une douzaine de journalistes - français pour la plupart - réunis dans les locaux de projection de Mk2, une semaine avant la sortie du film.

Il est arrivé avec un quart d'heure de retard au rendez-vous. S'éclipsera dix minutes pour griller deux cigarettes dans un mystérieux «espace fumeur». Deux jours plus tard, il doit faire le Grand journal de Canal+, le carrefour culturel le plus couru à Paris. Libération lui a réservé son prestigieux portrait de dernière page. Le Monde a tenu à rajouter une entrevue à la critique habituelle. Il fera Michel Drucker et une autre émission à Europe 1, trois ou quatre émissions à Radio France. À l'avant-première de son film, ce même lundi soir au cinéma Mk2-Bbliothèque, on refusera 150 personnes.

L'urgence de tourner

Légèrement mégalo, comme tout jeune créateur de haut niveau, Xavier Dolan a l'air de trouver ça tout à fait normal. Paris, d'ailleurs, ne l'impressionne pas. Ses références cinématographiques ne sont pas particulièrement françaises: «Wong Kar-Wai, Michael Haneke, Bergman, Rohmer», dit-il à ce sujet. D'ailleurs, il a failli ne pas venir du tout pour la sortie française de son film: «Il déteste voyager et encore plus prendre l'avion, dit-on chez Mk2, et donc sa venue à Paris n'a été confirmée qu'à la dernière minute.»

Jeune homme surdoué et pressé, Xavier Dolan donne l'impression d'être totalement absorbé par sa trajectoire personnelle. Quand un journaliste lui demande pourquoi il maintient un rythme de création aussi frénétique, il répond avec la simplicité du vieux sage: «Il faut se dépêcher, car, au rythme où les choses se dégradent dans le monde, il n'est pas sûr que, dans 10 ans, on aura encore le luxe de se demander si son prochain film sera à Cannes.»

Alors, de savoir s'il se trouve présentement à Paris, à Namur, à Montréal ou à Hong-Kong, cela n'a pas tellement d'importance. Du côté de la distribution de Mk2, en revanche, on garde les pieds sur terre et un oeil rivé sur les médias: «Si c'était aussi facile avec tous les jeunes cinéastes!» s'émerveille l'attachée de presse. En effet, la moisson rédactionnelle est déjà impressionnante. Et la tonalité de la critique sera de toute évidence favorable ou dithyrambique. Il n'en faut pas moins pour assurer le succès ou le triomphe d'un «petit» film lancé après-demain dans près d'une centaine de salles.