Présenté ce soir à l'Impérial, en clôture du Festival du film Black, Skin ravive un sujet épidermique en Afrique du Sud.

Certains y verraient un pied de nez à l'apartheid: deux parents blancs qui donnent naissance à une enfant à la peau foncée. Mais pour Sandra Laing, la principale intéressée, ce bagage génétique a été une véritable malédiction.

«Ma vie a été détruite par l'apartheid

», dit celle dont l'histoire hors norme a été récemment portée à l'écran par le Britannique Anthony Fabian dans le film Skin.

Du sang noir qui coulait dans les veines de ses parents et un phénomène de gène récessif sont à l'origine de la couleur de la peau de cette Sud-Africaine. Sous l'apartheid, qui obligeait les divers groupes raciaux à vivre séparément, la «différence» de Sandra Laing a vite tourné au casse-tête quand elle a commencé ses études dans un pensionnat réservé aux Blancs, dans les années 60.

Le directeur de l'école avait avisé les autorités du fait que Sandra ne répondait pas aux critères de la race blanche. Après lui avoir fait subir un test des plus racistes, par exemple en vérifiant si un crayon restait agrippé dans sa chevelure bouclée, les autorités avaient changé la race de la jeune fille sur son acte de naissance pour l'inscrire comme «colorée

».

Le père de Sandra s'est battu en cour pendant des années pour qu'elle retrouve son statut de Blanche et les privilèges qui l'accompagnaient. Il a eu gain de cause, mais la vie en a décidé autrement pour Sandra Laing. Enceinte d'un homme noir dont elle était tombée amoureuse, elle a fait le choix de reprendre le titre de «colorée

» afin de pouvoir se marier et s'occuper de ses enfants mulâtres.

Cruauté et racisme

À la suite de ce choix, sa famille l'a déshéritée et lui a tourné le dos. «Quand l'apartheid a tiré à sa fin, il était déjà trop tard pour moi. J'ai pu me réconcilier avec ma mère, mais je n'ai jamais revu mon père, qui est maintenant décédé. Et mes deux frères refusent toujours de me parler

», raconte-t-elle. Dans sa voix, on entend autant la tristesse que le fort accent afrikaans, la langue de ses parents.

Aujourd'hui dans la cinquantaine, mère de cinq enfants et grand-mère de huit, elle mène une vie plutôt normale. Comme elle n'a jamais pu terminer ses études, Sandra Laing a vécu dans la pauvreté pendant de longues années, passant d'abri de fortune en abri de fortune dans les bidonvilles de l'Afrique du Sud.

Depuis peu, elle est propriétaire d'une petite maison dans la municipalité minière de Brakpan, en banlieue de Johannesburg. Elle a pu se l'offrir après avoir accepté de raconter son histoire dans un livre intitulé Quand elle était blanche.

C'est ce livre qui a servi de base au long métrage Skin («peau

»), actuellement à l'affiche en Afrique du Sud. «On a eu peur que le film soit rejeté, que l'histoire de Sandra Laing, qui a fait les manchettes, soit trop connue, mais ça a été le contraire. Les gens s'y sont reconnus. Nous y avons fait notre meilleur box-office

», se réjouit le réalisateur, Anthony Fabian. «Pour moi, cette histoire est universelle. Elle parle de la cruauté que les humains peuvent avoir les uns envers les autres et du racisme, qui est toujours d'actualité, en Afrique du Sud comme aux États-Unis».

Cicatrices visibles

Il dit s'être lui-même buté à quelques manifestations de racisme durant le tournage. «Nous voulions tourner dans une église réformiste hollandaise à Pretoria, mais on nous a vite suggéré d'aller dans une église fréquentée par des Noirs quelques rues plus bas», se souvient-il.

Sandra Laing reconnaît elle aussi que les cicatrices laissées par l'histoire sont encore visibles partout en Afrique du Sud. «C'est mieux qu'avant, mais beaucoup de mes concitoyens, surtout des Blancs, sont encore racistes. De mon côté, même si je pense encore souvent à ce que j'ai vécu, j'ai pardonné. Ce n'est pas le cas de mes frères», dit-elle, triste que le film n'ait pas changé la donne.

Selon elle, une seule personne au monde pourrait maintenant intervenir pour aider sa famille, déchirée, à se reconstruire: l'ex-président Nelson Mandela, symbole vivant de la réconciliation du pays. «Le rencontrer, c'est mon plus grand rêve», soupire Sandra Laing.

Ce texte a été publié une première fois cet été, dans le cadre d'une série de reportages sur l'Afrique du Sud signés Laura-Julie Perreault. Nous le reproduisons aujourd'hui, le film étant finalement présenté au Québec.