Identité. Mythologie. Mémoire. Paroles. Ces mots ponctuent le vocabulaire de la cinéaste Stéphanie Lanthier dont le film Les Fros ouvre ce soir les 13es Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM). Rencontre avec une fille de bûcheron fascinée par la nouvelle mosaïque multiculturelle des gars de bois.

Depuis quelques années, la forêt abitibienne ressemble à une assemblée des Nations unies. Les gars de bois de souche québécoise côtoient des bûcherons maliens et congolais, russes et philippins, roumains, albanais et amérindiens.

«Je me suis dit que c'était le Québec d'aujourd'hui, lance Stéphanie Lanthier, fille de bûcheron du secteur de Mont-Laurier. Dans cette forêt qui est le coeur de la mythologie francophone, il y a de nouveaux arrivants. Ça me permettait de faire une réflexion sur le Québec dans ce qu'il a de plus mythique, sa forêt et ses gars de bois.»

Diplômée d'histoire, réalisatrice du film Deux mille fois par jour, auteure de plusieurs articles dans des livres et revues spécialisées, professeure en sciences politiques à l'Université de Sherbrooke, esprit libre et coeur allumé, Stéphanie Lanthier est ce genre de personne avec qui vous avez envie de partir à la pêche, faire de la confiture ou reboiser toute une forêt après cinq minutes de conversation.

Encore faut-il la suivre!

Pour tourner Les Fros, son documentaire sur les travailleurs forestiers, Stéphanie Lanthier a fait monter son chien dans son camion, y a balancé quelques affaires et est partie pour des semaines dans le fin fond des forêts abitibiennes.

«Je dormais dans mon camion, j'avais mon chien, j'avais mes bottes de bûcheron. J'ai bu de la bière, de la vodka avec eux. Je ne sais pas combien de fois j'ai survolté ou sorti du fossé d'autres véhicules.»

En somme, elle a, comme le petit prince avec le renard, apprivoisé ces travailleurs de toutes les couleurs qui préfèrent gagner leur vie décemment loin de la ville que de suer au salaire minimum dans une shop de Montréal. Ce qui donne un portrait pour le moins sympathique - même avec ses travers - de ce métier et de ceux qui l'exercent.

Mémoire et parole

Lorsqu'on lui demande pourquoi elle fait des films, Stéphanie Lanthier répond: «Pour fabriquer une mémoire. Le cinéma sert à ça. On fait des documents qui permettent d'avoir des références identitaires et culturelles. Et aussi pour donner la parole aux gens qui en ont moins.»

Voilà en somme un art proche du cinéma direct de Pierre Perrault pour qui Lanthier a une admiration évidente. «Pierre Perrault, c'est le cinéma de la parole. À travers les gens, il fait parler le pays», dit-elle.

Selon elle, la littérature et la musique ont évoqué des travailleurs forestiers, que ce soit à travers Les filles de Caleb, Menaud maître-draveur, les chansons de Félix ou de Vigneault. Mais pour le cinéma, c'est plus mince. L'erreur boréale (Richard Desjardins) l'a fait mais sous un angle écologique. Quant au film Les bûcherons de la Manouane d'Arthur Lamothe, il date de 1962!

Le sujet est pourtant important, incontournable, dans le coeur de Stéphanie Lanthier. «L'image du bûcheron participe à notre construction identitaire, dit-elle. Nous sommes à peu près tous fils et filles de bûcherons. Que des immigrants s'inventent bûcherons aujourd'hui, dans l'après-Bouchard-Taylor, je trouve cela symboliquement très fort.»

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Les Fros est présenté ce soir à 19 h au Centre Pierre-Péladeau; le lundi 15 novembre à 18 h à la Grande Bibliothèque; à compter du 12 novembre en Abitibi et du 10 décembre à Québec et Montréal.