Où se situent Mathieu et Elsa, personnages du film Huit fois debout? Vivent-ils simplement dans la marge? Ou sont-ils carrément au bord de l'abîme? Nous en avons discuté avec le réalisateur Xabi Molia et la comédienne Julie Gayet.

Il y a un point commun entre Huit fois debout, premier long métrage de Xabi Molia, et Pieds nus sur les limaces, film de Fabienne Berthaud dont il a été question la semaine dernière dans nos pages: tous deux dépeignent des êtres marginaux.

Dans les deux films, le spectateur va à la rencontre de personnages vivant en marge de la société, à laquelle ils ont bien de la difficulté à s'agripper. Dans Pieds nus sur les limaces, cependant, Lily semblait assumer ce choix de vie depuis toujours. Dans Huit fois debout, Mathieu et Elsa sont plutôt au bord du gouffre contre leur gré et s'organisent avec les moyens du bord.

«Ces personnages vivent en marge de la société, expose Xabi (prononcez Chabi) Molia en entrevue. Ils ne réussissent pas tout à fait à s'intégrer. Ils sont confrontés à des rôles sociaux qu'ils ne parviennent pas à jouer. Mathieu ne parvient pas à devenir un employé modèle. Elsa est incapable d'être une mère modèle.»

Défendus par les comédiens Denis Podalydès et Julie Gayet (qu'on a vue dans le film québécois La turbulence des fluides de Manon Briand), Mathieu et Elsa sont des voisins de palier qui vivotent de petits boulots miteux et qui peinent à payer leur loyer. Mathieu est très seul dans la vie alors qu'Elsa est séparée de son fils et a de la difficulté à le prendre une fin de semaine sur deux.

Simples connaissances au début, les deux voisins vont lentement se tricoter une espèce d'amitié en pointillé et teintée d'une douce indifférence. Et si la fin de l'histoire indique qu'ils vont tenter d'aller un peu plus loin dans cette relation, celle-ci est assez ouverte pour suggérer qu'ils ne sont pas sortis du bois. Compte tenu de leur capacité de résilience, on peut toujours espérer.

Pas tout noir

En entrevue, tant Xabi Molia que Julie Gayet évoquent le passage à l'âge adulte. Ce moment où, à l'issue de leurs études, les jeunes se retrouvent devant un horizon très large et dans lequel tout est à bâtir. Il y a de quoi avoir le tournis. Et c'est dans de tels moments que la famille et le réseau social sont importants.

«Je me suis demandé que feraient ces gens sans ce réseau, dit Molia. Ils sont plongés dans une situation critique et dans la précarité, qui deviennent ici des objets de cinéma.»

Julie Gayet a quant à elle une pensée pour ses amis artistes qui ont connu ou connaissent un passage à vide avant de vivre de leur art.

«Dans le milieu artistique, quand on a fait des études, même de hautes études, il y a ce moment de fragilité où l'on n'a pas encore assez d'expérience pour être pris, où l'on cherche, dit-elle. Souvent, les artistes sont des gens qui ont une faille. Ce ne sont pas forcément eux qui sont les plus forts face au système et à la façon de mentir dans ce système. Souvent, ils sont carrément sans concession.»

Tout noir, Huit fois debout? Que non! La vie humble et compliquée des deux héros est entrecoupée de moments réjouissants, voire franchement drôles, et de quelques répliques épicées.

Encore ici, Molia et Gayet se renvoient la balle et estiment que le traitement donné s'inspire de l'humour anglo-saxon.

«Le ton et l'écriture de Xabi amènent beaucoup d'humour et de décalage, dit Julie Gayet. On n'a pas voulu un film trop noir au premier degré. Comme on le voit dans les films anglo-saxons, il y a toujours de l'humour dans les moments désespérés. Mieux vaut en rire qu'en pleurer.»

Plusieurs registres

Elle a aussi aimé l'exercice d'interpréter Elsa sur plusieurs registres. «Ce qui était fort pour moi était de jouer une fille qui n'était pas d'une seule couleur. Ce que nous sommes dans la vie. On est multiple. Souvent, au cinéma, on simplifie. On joue un personnage d'une seule couleur. Au contraire, Elsa peut être roublarde, drôle, énergique ou dépressive et cassée.»

Molia apprécie ce côté «brut» de Gayet, qui dégage une forte présence physique dépourvue d'artifice, une qualité davantage présente chez les actrices anglo-saxonnes.

Ce n'est pas la première fois que le duo travaille ensemble. En fait, Huit fois debout est l'extension de S'éloigner du rivage, court métrage où Molia explorait une des scènes de Huit fois debout. «J'étais un peu frustré. Je trouvais que mes personnages n'avaient pas d'espace pour être exploités, dit-il. Je voulais montrer d'où ils venaient. C'est une forme d'enquête à rebours. Comme si j'avais déroulé la pelote d'où les personnages viennent.»

Dans cette «suite», il expose plutôt où ils s'en vont.

Huit fois debout est actuellement à l'affiche.