Darren Aronofsky explique en souriant qu'il n'y a pas vraiment de différence entre la lutte professionnelle et la danse classique. Dans la mesure où ceux qui tentent d'atteindre le sommet de leur art doivent s'astreindre à une discipline spartiate. Et entretenir un rapport souvent obsessif avec leur outil de travail: le corps.

«C'est pourquoi je vois Black Swan comme une continuité de The Wrestler, a expliqué le cinéaste au cours d'une conférence de presse tenue récemment à Los Angeles. Que la personne qui se donne entièrement à son art soit un homme ou une femme, il n'y a pas tant de différence dans son profil psychologique.»

Black Swan fait partie de ces projets qui auraient pu ne jamais se réaliser. Aronofsky, qui désirait travailler avec Natalie Portman depuis qu'il a vu The Professional (Léon), le film qui l'a révélée, a en effet parlé de son film à l'actrice il y a une dizaine d'années.

«Nous avons pris un café ensemble au Howard Johnson de Times Square, se rappelle le cinéaste. J'ai tout de suite vu l'enthousiasme de Natalie. Nous ne savions pas, à ce moment-là, qu'il nous faudrait attendre aussi longtemps pour mettre le projet sur pied. Je crois que le milieu de la danse classique et celui du cinéma se font un peu peur. On ne voyait pas notre venue d'un très bon oeil, en tout cas.»

Zones sombres

Le mariage entre le cinéma et le monde du ballet n'est pas très fécond, il est vrai. The Red Shoes (Michael Powell) constitue l'ultime référence. Il y a aussi eu The Turning Point (Herbert Ross) dans les années 70. Mais guère plus. Aronofsky voulait proposer une vision plus éclatée en s'insérant dans l'espace mental de Nina (Natalie Portman), danseuse qui a à explorer les zones les plus sombres d'elle-même pour les besoins d'un rôle. Dévotion, hallucinations, paranoïa et fantasmes érotiques s'entremêlent pour peindre un portrait troublant, probablement le plus âpre jamais campé dans le monde de la danse classique.

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«Comme toutes les petites filles, j'ai moi aussi rêvé d'être ballerine, souligne Natalie Portman, aujourd'hui âgée de 29 ans. J'ai fait de la danse jusqu'à l'âge de 12 ans. C'est bien loin. Aussi ai-je dû m'entraîner pendant un an avant le tournage, en menant une vie quasi monastique. Tu ne sors plus, tu ne bois plus, tu manges très peu, tu ne vois plus tes amis. La répétitrice et le chorégraphe sont pratiquement les seules personnes avec qui tu entretiens une relation!»

Pendant des mois, Natalie Portman a travaillé sous l'étroite supervision de Mary Helen Bowers, danseuse du New York City Ballet, et du chorégraphe français Benjamin Millepied, qui tient aussi un rôle dans le film.

«Je peux comprendre cette recherche obsessionnelle de la perfection, confie l'actrice. Une danseuse va vouloir se mettre au service de la vision d'un chorégraphe de la même manière qu'une actrice peut le faire pour un cinéaste. Dans un processus créatif, ils sont les rois et maîtres. Dieu, en quelque sorte!»

Dévotion absolue

Dans Black Swan, cette dévotion absolue comporte un revers dangereux. Sachant que le chorégraphe (Vincent Cassel) songe à séparer en deux le rôle principal de sa variation du Lac des cygnes et à offrir la partie plus sombre à une jeune rivale délurée (Mila Kunis), Nina n'a plus le choix. Femme enfant vivant une relation symbiotique avec sa mère, ancienne danseuse à la fois jalouse et ambitieuse (Barbara Hershey), la jeune femme doit déployer ses ailes, au risque de les brûler.

«Le rôle a été très exigeant sur le plan physique, mais j'ai cette capacité de revenir très facilement à ma vraie vie pendant un tournage, explique celle à qui les observateurs prédisent une nomination aux Oscars. Je n'invite pas le personnage à la maison après la journée.»

Même si Black Swan fait écho au caractère obsessif d'une discipline où s'orchestrent de nombreux jeux de coulisses, Darren Aronofsky croit que les réticences du monde de la danse face à ce projet sont tombées.

«Plein de danseurs viennent me dire à quel point ils sont ravis que la danse soit enfin considérée comme un art sérieux par le cinéma, soutient le cinéaste. Et qu'elle soit montrée de façon réaliste dans son exécution. Oui, le film fait écho aux difficultés que comporte la pratique de cet art, mais il rend aussi hommage à sa très grande beauté.»

Black Swan (V.F. Le cygne noir)prend l'affiche le 10 décembre. Les frais de voyage ont été payés par Fox Searchlight.