Le 11 décembre 1936, le roi Édouard VIII annonce qu'il abdique. Son frère cadet monte alors sur le trône. Celui que sa famille et ses amis appellent Bertie devient George VI. Il souffre d'un problème grave de bégaiement. Le poids des mots est, pour lui, énorme. Un homme l'aidera à trouver sa voix. Colin Firth, Geoffrey Rush et le réalisateur Tom Hooper se sont mis au service de cette histoire qui est, avant tout, celle d'une singulière amitié. Rencontre avec les trois piliers de The King's Speech.

Tout a commencé, en Angleterre, par l'entêtement d'une mère au jugement sûr; et, en Australie, par un paquet enrobé de papier brun abandonné sur le pas d'une porte.

«Ma mère est arrivée de la lecture publique d'une pièce de théâtre parlant de la relation entre George VI et son orthophoniste australien en me disant: «Tu dois lire ça, c'est ton prochain film.» J'ai placé le manuscrit sur une pile de dossiers non prioritaires. Elle m'est revenue quelques semaines plus tard et m'a demandé ce que j'en avais pensé. J'ai senti qu'elle ne lâcherait pas le morceau, alors j'ai lu», raconte le réalisateur Tom Hooper (The Damned United, la minisérie John Adams), lors d'une entrevue qu'il a accordée à La Presse pendant le Festival international du film de Toronto.

Ce qu'il a lu? Une pièce de David Seidler relatant quelques années dans la vie du fils cadet du roi Édouard V, appelé Bertie par ses proches, père de celle qui deviendra Élisabeth II. L'histoire d'un homme qui ne recherchait pas les projecteurs, qui préférait l'ombre, la sécurité que lui procurait le quasi-anonymat. Parce que souffrant d'un grave problème de bégaiement. Le texte commençait d'ailleurs avec le discours d'ouverture de l'Exposition de l'Empire britannique de 1925, qu'il tente de prononcer. En vain. Dur coup du destin. Suivi, 10 ans plus tard, par le fait que son frère, devenu Édouard VI au début de l'année 1936, abdique par amour pour Wallis Simpson, Américaine et deux fois divorcée.

Bertie devient George VI. Il est le mari d'Elizabeth Bowes-Lyon. C'est elle qui le met en contact avec Lionel Logue, Australien de classe modeste, vaguement acteur, qui a conçu des techniques originales pour aider les bègues à surmonter leur handicap. Il y aura des vagues et des écueils. La pièce de théâtre suivait tout cela, et jetait les amarres au moment où George VI donne le plus important discours de son règne. À la radio. Celui où, en septembre 1939, il annonce que la Grande-Bretagne entre en guerre avec l'Allemagne.

Quelque chose, dans cette page d'histoire devenue The King's Speech, a trouvé écho en Tom Hooper. Entre autres parce que, né d'une mère australienne et d'un père anglais, élevé en Grande-Bretagne, il s'est longtemps senti différent, un peu «étranger», planté en équilibre au croisement de deux cultures. La relation entre Bertie et Lionel, tout à fait inusitée, l'a ainsi interpellé.

«Imaginez, un descendant de famille royale et un fils de brasseur, l'élite de la société anglaise et un Australien de classe moyenne, un représentant de l'Empire et un habitant d'une des colonies: tout séparait Bertie et Lionel. Pourtant, chacun d'eux a changé la vie de l'autre», a résumé Geoffrey Rush lorsque La Presse l'a rencontré dans un hôtel torontois.

L'acteur est entré en contact avec le texte de The King's Speech en le découvrant un matin sur la galerie de sa maison en banlieue de Melbourne, dans un sac de papier brun. «Une voisine l'avait laissé là à la demande d'une amie londonienne qui voulait produire la pièce et me voyait dans le rôle de Lionel. J'ai lu, par curiosité. J'ai aimé, mais je n'étais pas intéressé à jouer dans cette pièce. En fait, j'ai vu là une histoire extraordinaire qui pourrait faire un film formidable. Parce qu'un film permettrait les gros plans, c'est ce qu'il fallait à ce récit et que le théâtre ne pouvait lui donner.»

Il a ensuite découvert que le réalisateur Tom Hooper était lié au projet, c'est-à-dire à une adaptation cinématographique de la pièce. «J'avais aimé sa manière, dans John Adams, de montrer l'humain au-delà des titres et des positions. Je savais qu'avec lui, The King's Speech ne serait pas une «histoire de palais» comme il y en a eu tant... quelques-unes dans lesquelles j'ai d'ailleurs joué, fait l'acteur avec humour. Je savais que Tom, que j'avais déjà rencontré à Los Angeles, saurait montrer à quel point l'environnement dans lequel Bertie a grandi, cette famille royale dysfonctionnelle, a eu sur lui un effet opprimant et débilitant.»

C'est à partir de là que Geoffrey Rush a sérieusement envisagé d'incarner Lionel Logue. Assez, même, pour devenir producteur délégué du film en devenir. D'autant plus que, par coïncidence, le même nom figurait en haut de sa liste et au sommet de celle du réalisateur pour se glisser dans la peau de George VI: Colin Firth. «Je voulais un acteur qui puisse jouer l'Anglais avec réserve, pas la caricature de l'Anglais, indique le réalisateur. Colin a cette réserve, cette distinction. Et, comme Geoffrey, c'est... je dirais, un «acteur de la Renaissance». Ils sont tous deux très brillants et ils ont une formidable intelligence du texte.»

Ce qui n'empêcha pas Colin Firth d'avoir, dans un premier temps, hésité à accepter le rôle. «J'avais déjà interprété un rôle semblable et je n'aime pas refaire les mêmes choses», a-t-il indiqué quand La Presse l'a rencontré lors du TIFF. Le rôle semblable, dans le téléfilm Tumbledown, était celui d'un soldat blessé à la tête lors de la guerre des Malouines qui, paralysé du côté gauche, devait tout réapprendre - entre autres à parler. Mais, bon, il a lu le scénario, a découvert une histoire qu'il connaissait peu: «Vous savez, les Anglais ne s'intéressent pas plus à la famille royale que les Canadiens, sourit-il. Nous connaissons tous l'histoire de l'abdication d'Édouard VIII, mais celle des problèmes d'élocution de Bertie? Pas vraiment, ou à peine.»

Il a donc été harponné par le sujet. «Et, surtout, par l'histoire de cette amitié entre deux hommes qui ne pouvaient être plus différents l'un de l'autre. En particulier à cette époque où le protocole entourant la famille royale était incroyablement restrictif. On démarre avec cette scène où Bertie et Lionel discutent de la manière dont ils vont s'appeler l'un autre et comment ils vont agir l'un avec l'autre... et on les suit dans l'évolution de cette relation qui va pour ainsi dire en faire des frères. C'est une belle trame narrative.»

Ne restait qu'à la rendre à l'écran. Le «vrai» travail a alors commencé pour le trio.

The King's Speech (Le discours du roi) prend l'affiche le 10 décembre.