À l'évidence, la dernière année ne fut pas du meilleur cru d'un point de vie cinématographique. Rien pour faciliter ma mission: choisir dix films, parmi les quelques centaines qui ont pris l'affiche au Québec en 2010, afin de dresser une liste toute personnelle de mes oeuvres favorites. Si quelques choix se sont imposés d'emblée, d'autres ont été beaucoup plus difficiles à faire. Voici le résultat.

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1. Un prophète de Jacques Audiard
(France)

Le récit puissant de l'ascension fulgurante en milieu carcéral français d'un sans-abri illettré de 19 ans, Malik (époustouflant Tahar Rahim), qui tombe sous la coupe de mafieux corses avant de devenir lui-même caïd. Deux heures et demie de pur délice cinématographique, dans le style lancinant de Jacques Audiard (Sur mes lèvres, De battre mon coeur s'est arrêté). Un récit d'une réalité brutale, au rythme captivant, appuyé par des effets oniriques mesurés et une bande-son irrésistiblement inquiétante. Un grand film, brillant et subtil, qui évite les clichés du genre.

2. Le ruban blanc de Michael Haneke
(France, Autriche, Italie, Allemagne)

Une oeuvre austère et cérébrale, fascinante et rigoureuse, qui s'intéresse aux racines du fascisme dans un village obscurantiste du nord de l'Allemagne, peu avant la Première guerre mondiale. Avec cette légende de village doublée d'une fable philosophique aux forts accents bergmaniens, Michael Haneke a remporté la Palme d'or à Cannes en 2009. Sa mise en scène, parfaitement maîtrisée, méticuleuse et précise, est d'une qualité formelle admirable: les images, filmées en noir et blanc, surtout en plans fixes, forment une collection de tableaux très forts. Le cinéaste de Funny Games et de Caché explore avec acuité les différentes facettes de la déshumanisation, en traitant de thèmes récurrents de sa filmographie - la mémoire, la honte, la violence, l'aliénation, la vengeance, la transmission des valeurs. Magistral.

3. Carlos d'Olivier Assayas
(France)

Dans les années 70, le Vénézuélien Ilich Ramirez Sanchez, révolutionnaire radical, militant pour la libération de la Palestine, prend les armes et devient Carlos, le terroriste le plus célèbre de son époque. Olivier Assayas (Fin août, début septembre; Les destinées sentimentales) dresse un portrait fascinant, d'une formidable nervosité, de ce mercenaire de la terreur désillusionné, qui fut capturé en 1994. Une vision tout sauf romantique de la déconstruction d'un mythe. Edgar Ramirez est époustouflant dans le rôle-titre.

4. Incendies de Denis Villeneuve
(Québec)

De l'oeuvre théâtrale dense de Wajdi Mouawad, Denis Villeneuve (Maelström, Polytechnique) a tiré un film épuré, magnifié par la charge poétique des images, d'une âpreté de circonstance. Chaque plan est étudié, parfaitement intégré, cohérent, sans être esthétisant. L'utilisation harmonieuse des ellipses est particulièrement remarquable, modelant le récit entre le passé et le présent, le Québec et le Moyen-Orient. Ce réquisitoire puissant contre la guerre, marqué par la présence lumineuse de Lubna Azabal, est porté par une scène d'anthologie dans le désert: morceau de bravoure, fulgurant, poignant, bouleversant, déchirant de douleur.

5. Winter's Bone de Debra Granik
(États-Unis)

Ree a 17 ans. Son père a disparu dès sa sortie de prison, sa mère est dans un état quasi végétatif. C'est donc elle seule qui subvient aux besoins de ses jeunes frère et soeur. Si elle ne parvient pas à retrouver son père d'ici une semaine, la famille perdra son toit. Quête initiatique d'une adolescente déterminée, Winter's Bone de Debra Granik s'est vu décerner le Grand Prix du jury et le Prix du scénario au dernier Festival de Sundance. On ne s'en étonne pas tellement ce film sombre et rugueux, pétri de silences, est juste. Gris comme la pluie, noir comme la misère, brillant comme la lumière.

6. Ajami de Yaron Shani et Scandar Scopti
(Israël)

Juifs, musulmans et chrétiens cohabitent dans le quartier chaud d'Ajami, au coeur de Jaffa, près de Tel-Aviv. Nasri, 13 ans, et son frère Omar sont terrorisés depuis que leur oncle a assassiné le leader d'un autre clan. Malek, jeune réfugié palestinien, vit clandestinement en Israël pour payer les soins de sa mère. Binj, musulman, rêve d'épouser son amoureuse chrétienne. Dando, un policier juif, recherche son frère disparu. Un premier film coup de poing, un thriller haletant, d'une magnifique tension, moderne, nerveux, violent, aux intrigues entremêlées finement, qui évite l'écueil du manichéisme pour rendre compte d'une réalité déchirante.

7. Inception de Christopher Nolan
(États-Unis)

Une superproduction divertissante au possible, alliant des effets spéciaux époustouflants à un scénario ingénieux et inventif, aux tiroirs multiples. Un thriller d'espionnage et de science-fiction tout sauf classique, qui se déroule simultanément dans plusieurs lieux imaginaires, tous issus du rêve. Une habile mise en abyme autour du subconscient, un rêve dans un rêve dans un rêve, à la recherche d'une clé permettant de changer le cours de la réalité. Un film grand public au regard d'auteur qui multiplie les batailles chorégraphiées, notamment dans l'apesanteur, les rebondissements astucieux et les images somptueuses. Christopher Nolan (Memento, The Dark Knight) au sommet de son art.

8. Tournée de Mathieu Amalric
(France)

Ancien roi de la production de télévision française tombé dans l'oubli, Joachim a renoncé à tout - sa famille, ses amis - pour recommencer sa vie aux États-Unis. Il revient en France avec une troupe de «New Burlesque», à qui il promet mer et monde. Un film doux-amer qui groove comme le vieux rock de garage des Sonics. Un road-movie poétique mettant en scène des personnages formidables (d'authentiques artistes de «nouveau burlesque» américain), parmi lesquels ce Joachim (le cinéaste, Mathieu Amalric), has-been à la fois touchant et méprisable. De l'humour fin, de la mélancolie, de la tendresse aussi.

9. Oncle Boonmee d'Apichatpong Weerasethakul
(Thaïlande)

Oncle Boonmee - celui qui se souvient de ses vies antérieures- est une proposition de cinéma singulière, hors du temps et des conventions habituelles, sur le thème de la réincarnation, cher au cinéaste thaïlandais Apichatpong Weerasethakul (Tropical Malady, Syndromes and a Century). Étonnant mariage de spiritualité et de mysticisme, de sensualité et de mythologie, ce film onirique et fantastique, indolent et déstabilisant, qui fait fi des habituels codes narratifs du cinéma occidental, a remporté la Palme d'or du dernier Festival de Cannes. Le jeu des acteurs non professionnels est parfois bancal, l'ensemble peut s'avérer déroutant, voire hermétique, mais la mise en scène de Weerasethakul, formidablement dépouillée, se jouant d'effets datés, éclaire brillamment cet objet cinématographique unique.

10. The Fighter de David O. Russell
(États-Unis)

Christian Bale, d'une énergie tragique, en ancienne gloire de la boxe, tiraillé entre ses désirs de succès inassouvis, sa mère envahissante et sa toxicomanie. Melissa Leo, méconnaissable en louve d'un clan serré et coloré de neuf enfants, mêlée aux aspirations sportives de ses fils. Mark Wahlberg, fort crédible en jeune frère ébranlé, dont l'avenir se trouve dans le ring. Amy Adams, émouvante en muse qui ose confronter le clan. Une distribution remarquable pour un drame sportif captivant, doublé d'une chronique familiale inspirée, signée David O. Russell (Three Kings, I Heart Huckabees) d'après l'histoire des frères boxeurs Dicky Eklund et Micky Ward.