Le documentaire de Raymonde Provencher sur les filles soldates en Ouganda poursuit sa lancée. Après avoir été présenté aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal au mois de novembre dernier, Grace, Milly, Lucy est projeté au Cinéma eXcentris pendant une semaine à compter d'aujourd'hui pour marquer la Journée mondiale contre l'utilisation d'enfants soldats.

La Presse s'est entretenue avec l'une de ces femmes qui témoigne dans le document de son enlèvement, puis de son enrôlement: Grace Akallo. Son histoire est celle de milliers de jeunes femmes. Pendant près de 20 ans, l'Armée de résistance du Seigneur (LRA) a combattu dans le nord du pays l'armée du gouvernement dirigé par Yoweri Museveni. On estime que le chef rebelle Joseph Kony a enrôlé plus de 30 000 enfants, soit 80% de ses effectifs, pour faire tomber ce gouvernement. Grace Akallo en a fait partie. Enlevée d'un pensionnat avec 29 autres jeunes filles âgées de 8 à 12 ans (en 1996), elle a été entraînée pour tuer et donnée pour épouse à un soldat. Elle s'est enfuie après sept mois de captivité.

Q: Cela fait des années que ce sont les enfants qui font la guerre en Ouganda, notamment parce que la majorité des adultes ont péri dans les nombreuses guerres interethniques. Est-ce que la situation est aussi dramatique qu'avant? Depuis les élections de 2006 (qui ont reconduit Museveni au pouvoir), y a-t-il toujours autant d'enfants recrutés par les mouvements d'opposition?

R: S'il y a autant d'enfants qui ont fait la guerre, c'est aussi parce que les adultes refusaient de se joindre aux rebelles. C'est pour ça qu'ils ont commencé à enrôler les enfants de force, parce que c'était plus facile de les entraîner à tuer et de les «rééduquer». Depuis les élections de 2006, la situation s'est calmée dans le nord de l'Ouganda. Mais les enfants qui ont agressé des membres de leur communauté souffrent encore aujourd'hui, parce qu'ils sont rejetés par elle et condamnés à vie. Surtout les filles, qui reviennent souvent de ces campagnes avec des enfants, qui sont aussi rejetés par la communauté et qui leur rappellent constamment leur passé.

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Q: D'ex-filles soldates ont mis sur pied l'organisme Empowering Hands pour venir en aide à ces jeunes femmes qui retournent dans leur village après avoir été abandonnées par l'armée ou après s'être enfuies. De quoi s'agit-il ?

R: C'est un organisme local extraordinaire. Les filles qui ont mis sur pied ce programme sont d'ex-filles soldates qui comprennent la douleur et la souffrance de leurs compatriotes. Elles les aident à se réintégrer dans leur communauté. Il s'agit d'une action volontaire et bénévole.

Q: Certaines filles ont servi l 'armée rebelle pendant plus de 10 ans. Est-ce possible de reprendre une vie normale lorsqu'on a été entraînée depuis sa tendre enfance à tuer? Quelles sont les perspectives d'avenir pour ces jeunes femmes?

R: Si on leur offre un environnement sain, pour elles et pour leurs enfants, si elles reçoivent de l'amour et si elles sont bien accueillies, elles peuvent améliorer leur condition. Encore une fois, le gros problème c'est que ces filles sont souvent rejetées par leur communauté. Maintenant que les populations réintègrent leurs villages, l'avenir de ces filles est encore plus précaire, parce qu'elles savent qu'on ne leur attribuera pas de terre à cultiver, seul mode de survie dans le nord de l'Ouganda.

Q: Vous habitez maintenant aux États-Unis, d'où, vous dites, vous luttez toujours pour dénoncer l'enrôlement d'enfants. Comment?

R: Je milite pour la fin de la conscription des enfants dans toutes les armées du monde. Je prononce des discours dans différentes communautés, dans des écoles, des églises et aussi à l'ONU. J'ai écrit un livre, Girl Soldier, The Story of Hope for Northern Uganda's Children qui, je l'espère, sensibilisera les gens sur ce que certains groupes armés et gouvernements font subir à d'innocents enfants. Mon objectif est qu'il y ait une justice pour les enfants dans les pays qui sont en guerre. C'est notre responsabilité de crier d'une seule voix : assez de souffrance, assez de sang versé, assez.

Grace, Milly, Lucy... est à l'affiche au Cinéma Parallèle d'eXcentris jusqu'au 19 février. Le public est invité à participer à la conception d'une bannière «Mains rouges «, aujourd'hui de 17h30 à 21h et demain de midi à 16h, qui sera remise au secrétaire général de l'ONU.