Macha Grenon est apparue il y a plus de 20 ans à la télé sous les traits d’une jeune première et d’un sex-symbol.

Mais très vite, celle dont la taille de guêpe et les seins faisaient fantasmer bien des hommes a tourné le dos au succès pour partir à la rencontre d’elle-même dans des films d’auteur et des comédies déjantées. Voilà qu’elle revient  au premier plan avec un premier rôle dans The Year Dolly Parton Was My Mom et une invitation aux Oscars au bras de Denis Villeneuve, son amoureux.

Il y a quelques semaines, Macha Grenon a pris sa décision: elle n’irait pas à la soirée des Oscars. Ce n’était pas par caprice ni parce que l’envie ne lui manquait. Au contraire. L’actrice avait le cœur brisé de ne pouvoir marcher au bras de son compagnon à côté de Javier, Penélope, Tom, Nicole et compagnie.

Mais Macha Grenon est une femme loyale. Or ce soir, à 24 heures des Oscars, c’est la clôture des Rendez-vous du cinéma québécois avec la présentation du film The Year Dolly Parton Was My Mom dans lequel Macha tient un des premiers rôles. Assister à cette soirée puis arriver à temps pour les Oscars est techniquement impossible. C’est ainsi que par loyauté pour la cinéaste Tara Johns et parce que ce charmant petit premier film est réalisé par une femme, produit par une femme et raconte une histoire de femmes, Macha a renoncé au tapis rouge de Hollywood Boulevard.

Mais une bonne fée veillait sur elle, en l’occurrence la productrice Barbara Shrier, une Anglo-Montréalaise qui a produit tous les films de Francis Leclerc. Elle a pris Macha dans un coin et lui a chuchoté qu’une soirée aux Oscars, ça n’arrivait pas souvent dans une vie et qu’elle ne pouvait pas manquer ça, même par solidarité féminine.

Macha Grenon raconte l’histoire avec une voix émue. Elle est arrivée une heure plus tôt dans le café du Mile-End, le visage rougi par le froid et sans porter la moindre trace de maquillage: une fille simple, discrète, modeste, mais néanmoins pourvue d’un bon sens de l’autodérision. «Quand je pense que j’ai mis des années à me détacher de l’aspect glamour de ce métier. Et au moment où j’y suis finalement arrivée, je me retrouve aux Oscars! C’est drôle, la vie quand même!»

Il y a 22 ans, quand elle était une jeune ingénue, mannequin à ses heures, Macha Grenon aurait sans doute fait des pieds et des mains pour aller aux Oscars ou même au bal des orphelins. Fraîchement sortie du collège LaSalle, elle venait d’obtenir un rôle de bombe sexuelle dans Lance et compte. C’était une autre Macha que celle d’aujourd’hui. «J’avais 20 ans, j’étais malléable, très exposée, très visible. Autant dire que j’ai reçu le syndrome de l’imposteur en pleine gueule. C’est pour ça que je suis partie à Toronto pendant neuf mois, pour suivre des ateliers de jeu et surtout prendre du recul face à ma célébrité au Québec.»

À son retour, pourtant, elle obtient le rôle de Stéphanie dans Scoop. Pendant quatre ans, elle campe la riche héritière d’un magnat de la presse, qui conduit une Porsche et fréquente le beau Roy Dupuis, dont toutes les filles sont folles. Puis elle amorce une carrière au cinéma avec de petits rôles dans Louis 19, le roi des ondes, L’homme idéal, Juliette Pomerleau et Stardom de Denys Arcand. Et lentement mais sûrement, Macha disparaît des pages couverture et des tapis rouges tandis que de son propre aveu, le désir de nourrir l’image publique de fille sexy la quitte. «Le deuil y est pour beaucoup, dit-elle. En l’espace de quelques années, j’ai perdu mes deux parents du cancer. Être confrontée à la maladie et à la mort a complètement changé mon rapport au succès et m’a ramenée aux choses essentielles.»

L’école de la vie
Macha Grenon est la petite-fille d’Hector Grenon, l’historien qui a écrit plusieurs livres sur le Montréal de Camillien Houde. Son père, Michel Grenon, prof et historien, a dirigé le département d’histoire de l’UQAM de 1990 à 1993. Il est mort en novembre 1996 en laissant de nombreux écrits et des travaux de recherche sur la notion de progrès, de débat et d’instruction publique. Une salle à l’UQAM porte son nom à la demande de ses étudiants qui n’ont jamais oublié le respect qu’il leur témoignait.

Ce qui est étonnant dans cette histoire, ce n’est pas que Macha Grenon soit issue d’un milieu universitaire. Mais plutôt qu’elle ait abandonné l’école après le 5e secondaire, sans doute par esprit de rébellion. Elle le confirme. «Je ne sais pas quelle sorte de carrière j’aurais eue si j’étais allée à l’université ou dans les écoles de théâtre. Je pense qu’ayant baigné dans le milieu universitaire, j’ai ressenti un besoin très fort de m’en éloigner et de faire mon chemin à ma façon. Aujourd’hui, je crois sincèrement qu’on est l’acteur de la personne qu’on est devenu et que la vie, autant que l’école, ouvre le canal et forge l’instrument de l’acteur.»

De son père, Macha a hérité l’amour de la littérature et de la langue française. De sa mère, originaire de Gatineau, une facilité pour l’anglais qu’elle parle à la perfection et sans accent.

Dix ans après la mort de son père, le cancer a emporté sa mère. Au même moment, Macha entreprenait le tournage de Familia de Louise Archambault dans le rôle d’une mère froide et rigide dont la vie parfaite est en train de se fissurer. Ce rôle dramatique qu’elle interprète avec finesse et sensibilité marque un tournant et efface les derniers vestiges de la starlette qu’elle fut à ses débuts. C’est d’ailleurs un peu le même rôle qu’elle reprend dans The Year Dolly Parton Was My Mom, mais dans le contexte des années 70 avec le féminisme en toile de fond. Son personnage dans le film de Tara Johns est une ménagère qui s’accroche à son tablier et à ses bigoudis, mais qui finit par accepter le changement sous la pression de la petite fille qu’elle a adoptée.

Le film a été tourné en partie dans les Prairies et en partie à Montréal. Même si son anglais y est parfait, Macha Grenon a travaillé longuement son accent avec un coach. Six mois auparavant, elle donnait la réplique à Paul Giamatti dans Barney’s Version, tiré du roman de Mordecai Richler. Elle y campait le personnage loufoque de Solange, une actrice ratée qui a néanmoins un gros fan-club en Bulgarie.

À l’évidence, la carrière en anglais de Macha Grenon se porte bien. Mais pas question pour elle de prendre un agent à Los Angeles ou Toronto. «Je n’ai pas cette ambition-là, dit-elle. Je me considère avant tout comme une actrice québécoise. Mes racines sont ici. Ma vie de femme aussi. Et puis, je me vois mal tourner cinq ou six films par année. J’ai besoin de temps entre les projets et besoin, surtout, de revenir à une vie qui n’est pas en lien avec le milieu artistique.»

De la part d’une fille qui s’en va aux Oscars, autant dire que ces derniers propos font sourire. Macha Grenon les dit d’ailleurs en riant un peu d’elle-même.

Après avoir résisté avec la dernière énergie à l’idée de s’acheter une robe pour les Oscars, elle a finalement abdiqué. «Sur le coup, j’avais juste envie d’être à l’aise dans une de mes vieilles robes. Après tout, je ne m’en vais pas donner un show. Puis je me suis ravisée et j’ai fini par trouver une robe sobre, discrète, mais de circonstance.» Demain soir, sur le tapis rouge de Hollywood Boulevard, les flashs des appareils photo vont crépiter comme des mitraillettes. Pour Macha et son amoureux qui sont tous les deux très jaloux de leur vie privée, ce ne sera pas seulement la première fois qu’ils vont aux Oscars, mais la première fois qu’ils font une apparition publique ensemble. Autant dire que le moment sera historique.