Le parcours du conseiller monastique du film Des hommes et des dieux, Henry Quinson, s'avère aussi atypique que le long métrage du réalisateur Xavier Beauvois. Ancien golden boy de Wall Street, l'économiste franco-américain a tout plaqué, à la fin des années 80, pour aller vivre dans un monastère.

«J'étais un bon petit consommateur occidental. Puis, dans la vingtaine, j'ai redécouvert la prière. Quand j'ai commencé à faire beaucoup d'argent, j'ai tout remis en question. Je me suis interrogé sur ce que je voulais faire de ma vie. Et je me suis retrouvé à Tamié, en Savoie!» s'exclame en rigolant Henry Quinson, à l'autre bout du fil.

C'est d'ailleurs dans cette abbaye cistercienne, où il a vécu huit ans, qu'Henry Quinson a connu quatre des sept moines trappistes de Tibhirine assassinés en 1996, dont l'histoire est au coeur de Des hommes et des dieux. Le frère Paul (incarné par Jean-Marie Frin) lui avait d'ailleurs «légué» un livre de prières avant de quitter la Savoie pour l'Algérie. À la blague, cet ancien plombier avait alors dit à Henry Quinson qu'il lui laissait sa place au monastère.

«Quand il est mort, je me suis rappelé cette phrase et je me suis demandé comment je pourrais le remplacer, moi qui, entre-temps, avais quitté le monastère pour oeuvrer dans une cité de transit, à Marseille, parmi des familles d'immigrants algériens», raconte Henry Quinson.

Appelé à traduire le livre de l'Américain John Kiser sur ces moines (Passion pour l'Algérie: les moines de Tibhirine), quelque 10 ans plus tard, il s'est mis à caresser l'idée de faire un film à partir de leur «histoire incroyable».

Ironie du sort, 10 jours avant de recevoir l'appel d'Étienne Comar, coscénariste de Des hommes et des dieux, Henry Quinson avait essuyé le refus d'un ami producteur de cinéma. «Cet ami, que je ne nommerai pas, m'avait dit qu'un film sur un tel sujet, en 2010, n'intéresserait personne.»

Aventure intérieure

L'homme doit s'en mordre les doigts aujourd'hui, puisque Des hommes et des dieux a été le film le plus rentable du cinéma français l'an dernier, avec plus de trois millions d'entrées. De l'avis de M. Quinson, le succès inattendu du long métrage de Xavier Beauvois tient à sa sobriété, à ses silences, à son originalité «par le sujet et par la forme».

«C'est un film d'aventure, mais d'aventure intérieure, puisque c'est surtout dans le coeur et l'âme des moines que le spectateur ressentira à quel point la violence à laquelle ils font face les fait douter de leur foi, de leur présence en Algérie. Les gens sont intrigués par les raisons qui les ont poussés à rester dans un pays de plus en plus dangereux», soutient-il.

Pour lui, il s'agit aussi d'un film d'amour «sans blondes pulpeuses, certes, mais un film d'amour quand même, qui se décline en amour de Dieu et de son prochain».

«Il est très rassurant qu'au XXIe siècle, les gens accueillent un film qui pose des questions importantes sur notre capacité à vivre ensemble. La mondialisation ne peut-elle que devenir source d'affrontements, de chocs des civilisations? Ne peut-elle pas devenir source de réels rapprochements?» demande-t-il. D'ailleurs, Henry Quinson loue l'«approche très juste» préconisée par Xavier Beauvois, qui rend les militaires plus menaçants, à certains moments, que les islamistes.

Conseils et vérités historiques

Dans son rôle de conseiller monastique, Henry Quinson a dû débusquer erreurs de fait et incohérences dans le scénario, aider à la reconstitution des décors (dont le vitrail de l'église et la pancarte affichant les heures de pratique du médecin à partir de photos qu'il avait en sa possession), donner accès aux comédiens à un maximum de textes historiques, afin de bien rendre certains moments-clés.

Comme cette fameuse poignée de main entre le frère Christian et le chef rebelle Ali Fayattia, le soir de Noël 1993. «Lors de cette intrusion terroriste, les moudjahidines laissent voir un visage plus humain. Cette poignée de main a vraiment été échangée. Il fallait que le frère Christian ait un incroyable culot pour rappeler Ali Fayattia, alors qu'il quittait le village avec ses hommes, pour lui expliquer que leur «visite» survenait au moment où les moines se préparaient à célébrer la naissance de Jésus, un homme de paix, ce à quoi Fayattia a répondu en s'excusant!»

Henry Quinson a aussi eu à «remplir» les scènes de prières, en déterminant où et comment les moines devaient vivre ces moments de recueillement, en plus de fournir le répertoire de chants religieux.

«Dans la préparation des acteurs, deux éléments ont été cruciaux pour créer un véritable esprit de corps entre eux: le séjour qu'ils ont fait au monastère de Tamié, où ils ont pu rencontrer les moines et vivre parmi eux, ainsi que les répétitions des chants avec l'ancien chef du choeur de l'Opéra de Paris, François Polgar.

Des chants significatifs

Car ce sont les comédiens qui chantent dans le film. Ils ont donc dû apprendre les chants, mais aussi les ressentir en lien avec le scénario, car les paroles de ces chants sont liées aux moments où ils sont interprétés, soutient-il.

Quelques comédiens ont aussi pu rencontrer les familles des victimes. À partir des confidences des proches du frère Paul, Jean-Marie Frin a pu faire ajouter la scène dans laquelle son «personnage» avoue à son supérieur à quel point il s'était senti étranger au sein de sa propre famille, lors du repas d'anniversaire de sa mère célébré en France, et qu'il ne saurait dès lors quitter l'Algérie et ses «frères», chrétiens et arabes confondus.

Dans la foulée de l'expérience vécue par l'équipe du film, Henry Quinson a écrit Secret des hommes, secret des dieux, qui devrait arriver en librairie sous peu.