Les villes et banlieues du Québec sont-elles en train d'aliéner une jeunesse qui ne s'identifie qu'à la grosseur du moteur de sa voiture? Voilà un des thèmes de Jo pour Jonathan, long métrage de Maxime Giroux mettant en vedette Raphaël Lacaille. Rencontre avec un réalisateur qui n'a pas peur de brasser la cage et d'un jeune comédien qui avait le profil de l'emploi.

Raphaël Lacaille n'en revenait pas de sa chance. Au lendemain d'une collision frontale à 100 km/h où il s'en est tiré sans trop de conséquences, il a montré des photos de son véhicule démoli à un de ses amis. «Une semaine plus tard, ce dernier mourait dans un accident de voiture, raconte-t-il. Des médias ont mis en cause la vitesse, mais ce n'était pas le cas.»

Quelques minutes plus tard, en entrevue, le comédien de 22 ans racontait qu'il ne voulait pas voir son grand-père dépérir après avoir appris qu'il souffrait de la maladie d'Alzheimer. «Finalement, il est mort dans un accident de voiture», relate-t-il.

Décidément...

Dans Jo pour Jonathan, deuxième long métrage de Maxime Giroux, Lacaille joue le rôle-titre, un adolescent vivant dans une banlieue grise, émule de son frère aîné Thomas, jeune homme sans envergure et fasciné par les courses illégales de voitures.

Un jour, les deux frères sont impliqués dans un très grave accident. Thomas est lourdement handicapé et Jo doit faire le choix le plus déchirant de sa vie. Un rite de passage nécessaire afin qu'il trace son propre chemin.

«Quand j'ai lu le scénario, j'ai su que, dans un sens, ce personnage me ressemblait énormément. Je ne suis pas bête et triste comme Jo, mais j'ai vécu un accident. J'ai su ce que c'est. Sur le coup, j'ai cru que je ne serais plus jamais capable de jouer», dit Lacaille, qui participait ici à son premier long métrage.

Pour lui, ce rôle n'était pas seulement alimentaire, même s'il est en début de carrière, une période où l'on a tendance à accepter toutes les offres.

«Je sentais que j'avais quelque chose à dire à travers Jo, dit Lacaille. Quand j'ai lu le scénario, je pleurais. Dans le film, Jo fait un monologue sur son accident et c'est exactement ce que j'ai vécu. Ça me rejoignait. Je me disais que je pouvais bien le rendre.»

Vies aliénées

Jo pour Jonathan propose donc une histoire d'amour-haine entre deux frères, campée dans une banlieue où les jeunes mènent des vies aliénées et nourries par une fascination morbide pour la bagnole.

Maxime Giroux ne se défile pas lorsqu'on lui suggère qu'il ne se fera pas beaucoup d'amis avec ce genre de portrait. Son film a un côté documentaire, rappelle-t-il. Les jeunes qui participent à des courses de voitures sont légion. Le tournage, réalisé avec des moyens minimaux, met en scène de vraies courses de voitures illégales et des compétitions réglementées à l'autodrome de Saint-Eustache.

«Ce qui m'intéresse dans le cinéma est de faire des films sur des personnages que je ne connais pas bien, dit Giroux. Dans le cas présent, c'est d'autant plus curieux que je viens de la banlieue. J'y suis né, mais je me sens loin de ces gens-là. Je veux donc les connaître. Les jeunes que nous avons croisés sont intelligents, mais leur milieu les rend moins curieux. La société ne les pousse pas à aller plus loin.»

La banlieue, endroit aliénant? «Je pense qu'elle peut l'être à certains moments, dit Giroux. La façon dont ces villes sont construites peut être aliénante. Rien n'est fait pour l'humain et tout pour la voiture. Il n'y a même plus de trottoirs dans les nouvelles banlieues. Le message qu'on passe c'est: «Ne marchez pas. Prenez votre voiture, allez consommer et retournez chez vous. Ne découvrez pas ce qui est autour de vous». C'est un peu ça, nos personnages: est-ce qu'ils évoluent dans leur société? Plus ou moins.»

Giroux, qui sait - et adore - conduire mais ne possède pas de voiture, ne fait pas l'apologie des villes pour autant. «Nos banlieues sont laides. Nos villes sont laides. Le Québec n'a pas de plan d'urbanisme. Tout est tout croche. Il y a des fils électriques partout, très peu d'arbres, etc.», dit-il, dépité.

Son film n'est pas une caricature, ajoute-t-il. «Tout est là. On n'a rien inventé.»

Il voit dans son travail des correspondances avec les oeuvres québécoises des années 50 et 60, lorsque naissait le cinéma-vérité. «Les Perreault, les Carle et autres filmaient les gens tels qu'ils sont et les lieux comme ils existent. Ils n'essayaient pas d'embellir les choses ou de les rendre plus laides. C'est aussi mon cas. Avec ce film, je n'ai pas voulu rendre les choses plus laides.»

Jo pour Jonathan prend l'affiche le 18 mars.