Le cinéaste israélien Amos Gitaï, honoré par une mini-rétrospective à Los Angeles, estime «nécessaire l’engagement du cinéma dans le monde contemporain» et revendique le droit de «poser des questions qui fâchent», sans quoi il serait «impossible d’avancer».

Fort d’une vaste filmographie, ce cinéaste engagé de 60 ans a toujours préféré le risque au confort, l’audace à la timidité, et le pavé dans la mare à la tiédeur du politiquement correct. Et son histoire personnelle est indissociable de sa vocation et de son engagement.

«Pendant la guerre du Kippour (1973), l’hélicoptère dans lequel j’étais évacué a été frappé par un missile syrien. Mon voisin a été décapité et j’ai frôlé la mort», raconte le cinéaste à l’AFP à Beverly Hills.

«Après cet accident, dont je suis sorti vivant par hasard, je me suis dit que le minimum que je pouvais faire, c’était de dire ce qui ne me plaisait pas», poursuit-il. «J’ai gagné ce droit à la parole de façon assez douloureuse et je n’ai aucune intention d’y renoncer».

Cette liberté de parole, qui l’a mis en position délicate à de nombreuses reprises dans son propre pays -- son Journal de campagne (1982), tourné pendant la guerre du Liban, l’obligera à s’exiler à Paris -- est reflétée dans la sélection de sept films programmés entre mars et avril à Los Angeles, à l’initiative de Culturesfrance et du consulat de France à Los Angeles.

Parmi ceux-ci, figurent le splendide Kippour (2000), présenté au Festival de Cannes, Free Zone (2005) avec Natalie Portman, ou Désengagement (2007), dans lequel Juliette Binoche part sur les traces de son passé en Israël.

«Je suis convaincu qu’il faut poser les questions qui fâchent parce que sinon, on n’avance pas. Le dialogue est nécessaire», affirme le cinéaste.

«Si je suis critique envers Israël, ce n’est pas parce que je suis contre mon pays ou que je voudrais qu’il n’existe pas. Au contraire, je veux qu’il existe, qu’il soit prospère, que la société y reste ouverte», dit-il. «Mais s’il y a là-bas beaucoup de choses que j’aime, il y en a d’autres que je n’aime pas».

«Je pense que le plus bel hommage que les grands cinéastes ont rendu à la culture, c’est d’être critiques», assure-t-il. «Le plus grand cinéaste allemand de l’après-guerre, c’est Fassbinder, parce qu’il a fait preuve d’esprit critique. Comme Rossellini en Italie. Ce sont des gens qui sont engagés dans l’histoire de leur pays», observe-t-il.

S’il n’a rien contre - mais «rien pour non plus» - les films «qui voient l’histoire en rose et avec des fleurs», il estime que le plus important reste que «les artistes ne soient pas domestiqués».

«Je ne suis pas un fan de tout le cinéma américain, mais il y a quelque chose qu’il faut lui reconnaître - et qui contribue sans doute au fait qu’il soit dominant aujourd’hui - c’est qu’il n’est pas timide», déclare-t-il.

«Ils découvrent un scandale de corruption? Ils vont en faire dix films et une série télévisée. Je trouve que cet engagement du cinéma dans l’histoire contemporaine est nécessaire», poursuit-il.

Les révolutions du monde arabe sont pour lui porteuses d’espoir pour les peuples, «qui ont soif de liberté, un désir noble», et pour les artistes.

«Le monde arabe est contrôlé par de terribles autocraties et il a produit très peu de films vraiment libres. Je crois... j’espère... je suis sûr qu’il y a des gens très talentueux qui, dans le passé, n’ont pas réussi à s’exprimer et vont maintenant pouvoir le faire».

«Quand je parle avec mes amis, collègues et cinéastes arabes, s’il y a une chose qu’ils envient à Israël, c’est celle-là: les gens peuvent s’y exprimer et faire des films, même s’ils posent des questions difficiles», dit-il.