Il choisit les films, négocie leur achat ou les défend devant les organismes subventionnaires, détermine leur date de sortie, se charge de leur mise en marché et de leur diffusion. Le distributeur est un intermédiaire de premier plan dans le cinéma, de plus en plus présent et influent (trop, au goût de certains).

Aujourd'hui, quelques grands joueurs, Alliance Vivafilm, Les Films Séville, TVA Films, Christal Films, se partagent la distribution de films au Québec, tandis que des entreprises plus modestes, Métropole Films, K-Films Amérique et d'autres, assurent la présence d'un cinéma d'auteur plus pointu dans nos salles.

Un bon distributeur a du flair. Il sait quel film plaira au public qu'il a ciblé, comprend les mécanismes de la mise en marché et tente de maîtriser, dans la mesure du possible, l'art de trouver la meilleure date de sortie pour qu'un film rejoigne son public.

La distribution reste une science inexacte. Règle générale, un distributeur n'a pas le plein contrôle sur les échéanciers de la diffusion d'un film. Le Québec étant considéré comme un marché domestique nord-américain par les studios hollywoodiens, ceux-ci imposent souvent leurs diktats. D'autant plus que plusieurs distributeurs québécois, pour des raisons stratégiques et commerciales, ont des ententes avec les distributeurs mondiaux, américains et autres.

C'est ce qui explique entre autres que certains films prennent l'affiche à un moment incongru ou dans une période où la concurrence semble trop forte. «Plusieurs remarquent que la sortie de certains films coïncide malheureusement avec celle d'autres films du même type, dit Charles Tremblay, président de Métropole Films, spécialisé dans le film d'auteur québécois et étranger. Ce ne sont pas des choix faits en toute inconscience. Les distributeurs se parlent davantage que ce qu'on peut imaginer. Parfois, nous sommes contraints de modifier une sortie, en raison de la disponibilité d'un acteur ou d'un réalisateur étranger pour la promotion ou d'une sélection dans un festival.»

«Pour choisir les dates de sortie de nos films, nous regardons évidemment ce que font les autres, confirme Patrick Roy, président d'Alliance Vivafilm, plus important distributeur du Québec. Il y a une règle non écrite en distribution voulant que l'on respecte un délai de deux semaines entre chaque film québécois, par exemple. Ça permet à un film de prendre son élan. La règle n'est pas toujours respectée, mais on se consulte. On ne veut pas se nuire.»

Les distributeurs, s'ils se consultent, restent des concurrents. Il n'était pas rare, il y a une dizaine d'années, de voir un distributeur s'adonner à la surenchère, en payant un prix exorbitant pour un film, afin de s'assurer de ne pas laisser un «beau morceau» à un concurrent. Le marché semble s'être calmé, même s'il arrive qu'un distributeur marque encore, à l'occasion, son territoire, en payant le fort prix ou en imposant une date de sortie.

«Ce n'est pas facile de trouver une date, dit Charles Tremblay. C'est une gymnastique complexe. On peut bien sûr imposer sa date quand on a un gros gorille comme un Spider-Man 4. Des hommes et des dieux n'a pas changé de date. D'autres ont été devancés pour que le calendrier ne soit pas trop encombré, comme Biutiful. Tout le monde y a trouvé son compte.»

Pourquoi certains films prennent l'affiche au Québec des mois, voire plus d'un an après leur sortie ailleurs dans le monde? Parce que les négociations pour obtenir les droits de distribution sont parfois ardues. Certains distributeurs peuvent se permettre d'acheter des films directement à la lecture du scénario (pour des cinéastes connus ou des projets jugés «sûrs»). Mais la plupart du temps, les acheteurs voient les films seulement à leur sortie ou dans les festivals.

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«Même si j'achetais un film aujourd'hui, je ne pourrais pas lui trouver une place avant septembre», dit Charles Tremblay, qui a acheté «sur scénario» Des hommes et des dieux, qui vient de dépasser le million de dollars de recettes aux guichets québécois.

Un marché en transition

Les affaires sont les affaires. La distribution n'y fait pas exception et est régie par la loi du plus fort. Certains distributeurs sont plus tolérants au risque que d'autres. Il faut dire que, contrairement au début de la précédente décennie, les distributeurs n'ont plus le loisir de sélectionner des films selon leur bon plaisir, sans tenir compte de leur potentiel commercial. Certains, pourtant, s'entêtent, et en paient le prix. Des distributeurs ont disparu, d'autres ont survécu malgré une situation financière précaire (Christal Films, notamment).

«Aujourd'hui, il y a peu de place pour les petits joueurs, estime Pierre Brousseau, des Films Séville. C'est dans les projets crossover qu'il y a de l'argent à faire. Les films d'auteur susceptibles de rejoindre un vaste public.» On pense à C.R.A.Z.Y., aux Invasions barbares ou à Incendies...

Les stratégies ont beau être différentes d'un distributeur à un autre, les défis restent essentiellement les mêmes. Le marché de la distribution, comme plusieurs autres, est en pleine mutation au Québec. Les changements technologiques, la pénurie de salles consacrées au cinéma d'auteur, la popularité des cinémas maison ont entre autres modifié la donne.

«Nous vivons une période de transition, croit Patrick Roy, joint cette semaine à Los Angeles, où il a multiplié les rencontres d'affaires et les visionnements de films. Les choses changent à un rythme fou. Heureusement, au Québec, on a l'avantage d'être décalé un peu par rapport aux États-Unis et de voir venir les tendances. On peut réagir. La numérisation a un impact majeur sur la distribution dans les cinémas. La vente de DVD décline, la vidéo sur demande ne compense pas, et l'internet présente un nouveau défi.»

«C'est une période particulièrement difficile pour le cinéma d'auteur, ajoute le président d'Alliance Vivafilm. Il y a peu d'écrans. Ce n'est pas évident. De façon générale, on multiplie les fenêtres, mais les revenus ne sont pas nécessairement au rendez-vous.»

Charles Tremblay en sait quelque chose, même si, de l'avis général, il fait un travail extraordinaire pour entretenir la flamme fragile du cinéma d'auteur étranger au Québec. «Je prends des risques très calculés, dit-il. Je n'ai pas une grande marge de manoeuvre. Nous nous tirons très bien d'affaire, mais l'équilibre est fragile. La fermeture d'eXcentris a fait très mal au cinéma d'auteur.»

Tous espèrent la réouverture de toutes les salles d'eXcentris pour l'été prochain, sous l'égide du Cinéma Parallèle. Dans les coulisses, on dit qu'il y a plus de raisons d'être optimiste qu'il y a six mois, mais rien n'est encore joué. On se croise les doigts. Pas seulement pour les distributeurs, mais pour tous les cinéphiles.