La caméra, accrochée au pare-choc avant, dévore les pavés. C’est l’aube et une voiture folle traverse Paris à tombeau ouvert, ignorant passants et feux rouges. À l’arrivée à Montmartre, une femme. Le conducteur bondit hors du véhicule et l’enlace. C’était un rendez-vous...

Le conducteur n’était autre que Claude Lelouch et c’est avec cet incroyable court métrage tourné en 1976, justement baptisé C’était un rendez-vous, que le cinéaste ouvre D’un film à l’autre, le documentaire où il retrace - on n’est jamais mieux servi que par soi-même - ses 50 ans de carrière.

Sorti mercredi en France, le documentaire était également projeté au 15e festival COL-COA du film français à Hollywood, où Claude Lelouch est aussi venu présenter son dernier film Ces amours-là, avant de donner un cours magistral à la prestigieuse Université de Californie du Sud (USC) à Los Angeles.

«C’était un rendez-vous» concentre en huit minutes tout ce qui caractérise le cinéma de Lelouch depuis 50 ans: vitesse, goût du risque, innovation technique, et surtout cet incorrigible romantisme un peu fleur bleue.

«Je ne me suis jamais posé de questions», déclare le cinéaste à l’AFP, dans un hôtel discret à deux pas de Sunset Boulevard. «Je suis un homme d’action et comme tous les hommes d’action, je réfléchis après. Et si j’ai connu plus de succès et d’échecs que les autres, c’est parce que j’ai pris des risques.»

«Je n’ai jamais pu attraper le bonheur - c’est une savonnette - mais je l’ai frôlé de temps et temps, et c’était toujours après une prise de risque. Sans risque, il n’y a pas de plaisir», dit-il.

L’un des aspects les plus suprenants du documentaire est la sincérité avec laquelle Claude Lelouch, dont le film Un homme et une femme (1966) remporta deux Oscars et la Palme d’Or à Cannes, parle de ses échecs.

«Il faut être lucide, l’échec fait partie du quotidien», dit-il. «J’ai eu la chance de connaître des gros succès qui m’ont montré la force de l’échec. Échouer, c’est redoubler une classe, c’est faire des progrès. Mes meilleurs films, je les ai tous faits derrière des échecs», souligne-t-il.

Le documentaire est aussi l’occasion pour Lelouch, 73 ans, de rappeler l’importance du cinéma américain dans son parcours de cinéaste, de Chaplin à Coppola, en passant par Woody Allen et John Ford.

«Après la guerre, c’est le cinéma américain qui m’a fait aimer le cinéma. Je suis tombé raide dingue des westerns et des comédies musicales», déclare-t-il. «Aujourd’hui, il ressemble trop à des jeux vidéo et il m’agace un peu.»

Ce fou de technique avoue cependant avoir apprécié Avatar de James Cameron, «un film formidable qui a donné un grand coup de pied dans la fourmilière du 3D. Mais quand on voit toutes les merdes qu’ils font aujourd’hui avec la 3D, on se demande si ça valait le coup...»

Parcourir la carrière de Lelouch, c’est aussi retrouver la fine fleur des acteurs français, passés un jour ou l’autre devant sa caméra.

«J’ai souvent fait jouer des stars qui avaient un passage à vide, car elles sont plus courageuses, elles prennent plus de risques», se souvient-il. «Je suis allé chercher Belmondo quand il avait un petit coup de mou, Annie Girardot après une traversée du désert. Là, les acteurs sont gourmands, ils ont faim!».

Cinquante ans après son premier long métrage, Le propre de l’homme (1960), le cinéaste n’a pas l’intention de raccrocher les gants.

«Le cinéma est le plus beau pays du monde. Il n’y a rien de plus magnifique qu’un beau film dans une belle salle», dit-il. «Le cinéma m’a aimé, repoussé, je l’ai trompé et il m’a a fait cocu, comme dans toutes les histoires d’amour... J’espère pouvoir jouer les prolongations et les tirs au but.»

Lelouch et Hollywood: une admiration mutuelle mais un rendez-vous raté

Malgré l’amour profond de Claude Lelouch pour le cinéma américain et sa cote d’amour aux États-Unis après les deux Oscars remportés par Un homme et une femme, le cinéaste n’a jamais pu concrétiser ses projets à Hollywood, «où l’on maltraite le cinéma d’auteur».

Claude Lelouch a tourné deux films français aux États-Unis - Un homme qui me plaît (1969), avec Jean-Paul Belmondo et Annie Girardot, et Un autre homme, une autre chance (1977), avec James Caan et Francis Huster - mais ses projets de films américains ont tous avorté, comme il le raconte à l’AFP.

«Après Un homme et une femme, Marlon Brando et Steve McQueen m’avaient appelé pour qu’on fasse un film tous les trois. Évidemment, c’était très excitant et je suis allé voir», se souvient-il. «Je suis resté une semaine avec Steve McQueen, avec qui j’ai passé des moments délicieux car il était un peu fou. Il me trimbalait dans Los Angeles en camion. J’adorais le personnage.»

«Mais d’un côté j’avais Steve qui me disait: «On fait ce que tu veux, comme tu veux», et de l’autre, il y avait Brando qui serrait les boulons», dit-il. «Et les deux producteurs qui géraient tout ça m’expliquaient toute la journée ce que le public voulait et attendait de McQueen et de Brando.»

«Et là, d’un coup, j’ai découvert que je n’étais pas fait pour ce cinéma de compromission qui ne pense qu’au public», explique le cinéaste. «Moi ce que j’aime, c’est ne pas savoir où je vais. Découvrir le film quand il est fini et faire un cinéma qui parle plus au coeur des gens qu’à leur intelligence.»

«Aux États-Unis, le cinéma d’auteur est maltraité. À part pour Woody Allen et les frères Coen, qui arrivent à imposer un certain nombre de choses, la préoccupation ce n’est pas l’auteur, c’est le public. Alors on passe commande à un auteur qui se met à quatre pattes devant le public», déplore-t-il.

L’histoire s’est répétée dans les années 90, quand Lelouch fut à deux doigts de porter à l’écran L’Alchimiste, le roman de Paulo Coelho, pour la Warner.

«J’avais écrit une adaptation que Paulo adorait», se souvient-il. «Et puis les gars de la Warner m’ont dit: «On ne retrouve pas le bouquin, il faut que le public retrouve le bouquin». J’ai vite compris et j’ai dit non gentiment.»