Quand l'intimité ne suffit plus pour combler un désir de l'autre, la sexualité peut-elle emprunter une autre forme d'expression? Le sentiment de la chair explore la question.

D'entrée de jeu, on pense à certains films de David Cronenberg, flanc Dead Ringers ou Crash. Le sentiment de la chair évoque en effet la rencontre de deux êtres fascinés par l'étude de l'anatomie, à un point tel que leur histoire d'amour les entraînera dans une dimension insoupçonnée. Aux yeux de Roberto Garzelli, cinéaste italien installé en France depuis longtemps, cette parenté d'univers n'est pourtant pas évidente, même s'il reconnaît des similitudes.

L'auteur cinéaste se réfère plutôt au cinéma de Marco Ferreri, réalisateur avec qui il a appris les rudiments du métier à son arrivée à Paris. Garzelli a travaillé à l'époque au montage de deux des films de son compatriote, parmi lesquels I Love You (avec Christophe Lambert).

«Avec une grande simplicité de moyens, grâce aussi à une approche sobre et mesurée, Marco parvenait à être provocant, voire radical, sans pourtant tomber dans la complaisance ou les effets gratuits, rappelle Roberto Garzelli au cours d'une interview accordée à La Presse il y a quelques mois à Paris. C'est un peu ce que j'ai essayé de faire avec Le sentiment de la chair.»

Même s'il évolue dans le milieu du cinéma depuis bon nombre d'années, Garzelli signe ici son premier long métrage de fiction. L'idée est née d'un projet précédent. Son documentaire Ma mort dans tous ses états, dans lequel il s'interrogeait sur le devenir du corps après la mort, prenait fin sur la contemplation poétique d'une série de clichés radiologiques.

«À l'arrivée, cela donnait presque un film au ton tragicomique, explique-t-il. Sans que je sache trop pourquoi, j'ai aussi pensé à un roman de Thomas Mann que j'avais lu très jeune et qui m'avait marqué. Dans La montagne magique, qui se déroule dans un sanatorium au début du XXe siècle, un homme disait à la femme dont il était secrètement amoureux qu'il préférerait voir son portrait intérieur plutôt que celui, peint, qu'elle venait de lui montrer. C'est ce qui m'a donné l'envie d'écrire cette histoire.»

Au-delà des limites

Le sentiment de la chair évoque ainsi la rencontre entre deux êtres qui partagent une fascination pour l'anatomie humaine. Helena (Annabelle Hettmann) est d'ailleurs étudiante en dessin anatomique. À la faveur d'un examen médical, elle fait la connaissance de Benoît (Thibault Vinçon), radiologue avec qui elle vivra un amour passionnel qui, très vite, dépassera les limites «habituelles» de l'intimité charnelle.

«Quand on est amoureux de quelqu'un, il y a ce fantasme absolu d'entrer dans sa pensée, de tout explorer, de découvrir les moindres parcelles de son intimité, indique l'auteur cinéaste. Mais c'est impossible. Pour ces deux êtres, le rapport physique ne suffit plus. Ils iront plus loin dans l'érotisation de leurs corps, dans un double désir de posséder celui de l'autre, mais aussi de lui appartenir.»

Présenté l'an dernier au Festival des films du monde de Montréal, où il a obtenu un Zénith de bronze (catégorie des premiers longs métrages), Le sentiment de la chair met en vedette deux jeunes acteurs qui se sont investis totalement dans la démarche de leur metteur en scène.

Thibault Vinçon, acteur de théâtre qui se permet parfois des «infidélités» en tournant des films, a bien apprécié la nature particulière du projet.

«Ce qui frappe déjà à la lecture du scénario, c'est l'extrême audace du propos, relève-t-il. Le cinéma d'auteur français se vautre souvent dans des oeuvres déjà bien balisées, qui ne surprennent plus personne. Là, on a affaire à une histoire vraiment originale, qui a le mérite de s'affranchir de tout ce qu'on connaît.»

Sa partenaire de jeu, Annabelle Hettmann, qui fait ici ses débuts à l'écran, abonde.

«De mon côté, c'est plutôt l'histoire d'amour singulière entre ces deux êtres qui m'a séduite à la lecture. L'aspect plus «médical» du récit n'était pas aussi prononcé. Je crois que le spectateur se posera davantage de questions que nous au moment où nous avons lu le scénario. C'est une bonne chose, d'ailleurs. J'aime bien les films qui ne donnent pas de réponses toutes faites.»

Une approche précise

Roberto Garzielli a beaucoup travaillé en amont avec ses acteurs, l'histoire de son film exigeant d'eux un grand investissement personnel. L'approche, à la fois très clinique et très révélatrice, fut dès le départ clairement établie.

«Pour que tout se passe bien, il est important que tout le monde soit sur la même longueur d'onde, précise l'auteur cinéaste. Surtout quand il y a autant de scènes plus délicates à tourner. C'est une question de consentement mutuel, d'échange, de confiance. Il faut tout régler avant, car, au moment du tournage, il n'y a plus de temps pour parler! Surtout dans le cas d'une production à petit budget. Il faut faire les choses. Et vite!»

«J'ai eu beaucoup de mal à me voir à l'écran la première fois que j'ai vu le film, concède Thibault Vinçon. C'était même un peu violent, car Annabelle et moi sommes très mis à nu. C'est en revoyant le film que j'ai pu m'en distancier un peu et apprécier son aspect vraiment radical. Ça m'a beaucoup plu.»

«Je crois qu'il me faudra du temps pour le voir vraiment d'un oeil plus neutre, conclut la jeune actrice. Pour l'instant, c'est un peu difficile.»

Le sentiment de la chair prend l'affiche le 6 mai. Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.