Si la tendance se maintient, Robert De Niro et son jury auront du mal à départager les lauréats. À la mi-course, quelques films se démarquent déjà.

Dix des vingt films en compétition officielle ont maintenant été présentés. Évidemment, aucune rumeur n'est encore parvenue aux oreilles des festivaliers quant à la teneur des discussions qu'ont eues les membres du jury jusqu'à maintenant. En revanche, des représentants de la presse internationale et de la presse française ont le loisir de s'exprimer tous les jours dans les journaux spécialisés en attribuant leurs cotes. Des différences notoires peuvent être relevées. En l'occurrence, Polisse, l'excellent film de Maïwenn sur les activités quotidiennes de la Brigade de protection des mineurs, récolte de très belles accolades de la part des journalistes consultés par Le film français. De leur côté, les critiques anglo-saxons et internationaux que sonde le magazine britannique Screen International sont beaucoup moins enthousiastes.

Pour eux, le très beau film de Jean-Pierre et Luc Dardenne, Le gamin au vélo, arrive en tête. The Artist, film muet en noir et blanc que le français Michel Hazanavicius a tourné à Hollywood, suit de très près. The Tree of Life, poème élégiaque de Terrence Malick, n'arrive qu'en troisième position chez les confrères internationaux, mais il est en revanche très clairement établi favori dans l'esprit des critiques français. Différences culturelles? Peut-être.

Toujours est-il que cette première demie s'est révélée plutôt inégale, bien que marquée quand même par des oeuvres solides, même si plus mineures dans la filmographie de certains abonnés (Nanni Moretti et son Habemus Papam, notamment).

Maïwenn et Hazanavicius mis à part, les recrues de la compétition n'ont pas vraiment su convaincre. Si l'Écossaise Lynne Ramsay possède d'ardents défenseurs grâce à son adaptation du roman We Need to Talk About Kevin, les autres cinéastes sélectionnés en compétition pour la première fois ont eu du mal à faire leur marque. Sleeping Beauty, de l'Australienne Julia Leigh, est déjà loin dans la mémoire des festivaliers. Footnote, de l'Israélien Joseph Cedar (Beaufort), distille ennui et agacement et se révèle vieillot de forme et de fond. Quand à Michael, premier long métrage de l'Autrichien Markus Schleinzer, directeur de casting de Michael Haneke, on voit mal comment il pourrait vraiment attirer l'attention du jury.

Les nouvelles offrandes de Lars von Trier (Melancholia), Pedro Almodóvar (La piel que habito), Paolo Sorrentino (This Must Be The Place) et Nuri Bilge Ceylan (Once Upon a Time in Anatolia), pour ne citer que les plus attendues, seront présentées au cours des prochains jours. Rien n'est encore joué.

Irrésistible Kaurismaki

Il ne s'était pas pointé sur la Croisette depuis cinq ans. Depuis Les lumières du faubourg, en fait. En découvrant Le havre, un film de langue française, on se rend compte à quel point le cinéaste finlandais Aki Kaurismaki nous a manqué. Le réalisateur de L'homme sans passé, qui avait valu un prix d'interprétation à sa muse Kati Outinen (de retour bien sûr), trouve le moyen d'aborder un thème on ne peut plus sensible - l'immigration clandestine en Europe - et d'en faire une irrésistible comédie, à la fois drôle et profondément humaine. Un gamin venu clandestinement d'Afrique se lie d'amitié avec un cireur de chaussures endetté (André Wilms), dont la femme (Kati Outinen) doit être hospitalisée. Un esprit d'entraide et de solidarité contamine les habitants du quartier. On organise même un spectacle-bénéfice avec Little Bob (Roberto Piazza), gloire locale de rock, dont on verra la performance en entier. «À tous égards, ce film est irréaliste», prévient l'auteur cinéaste. Mais la force du cinéma de ce Forcier scandinave réside justement dans cette vision humaniste fantasmée. D'autant plus que le ton se fait ici moins cynique qu'à l'accoutumée.

«Je n'ai aucun espoir pour la planète quand on voit les hommes qui l'habitent, a déclaré hier Kaurismaki lors d'une conférence de presse. C'est pourquoi je n'en rajoute pas et que le film est avant tout un divertissement. Quand j'avais 10 ans, j'étais déjà déçu par certaines choses et à l'époque, je faisais déjà semblant afin de susciter de l'espoir chez les autres.»

Avec un style qui rappelle le grand cinéma de Marcel Carné ou de René Clair, Kaurismaki propose ici un film tonique, remarquable d'humour (le jeu pince-sans-rire d'André Wilms se fond à merveille dans cet univers), et très touchant. On ne s'étonnera pas de voir Le havre figurer au palmarès dimanche.

Politique fiction

Aussi présenté en compétition officielle hier, Pater d'Alain Cavalier. Le réalisateur de Thérèse, Grand Prix du jury à Cannes il y a 25 ans, propose un essai savoureux qui, dans le contexte politique français actuel, se révèle très à-propos. Jouant leur propre rôle, Alain Cavalier et Vincent Lindon, dont l'amitié revêt le caractère d'une relation père-fils dans la vie, se cherchent un projet de film commun. Cavalier incarne le président de la République; Lindon, le premier ministre. Ils se filment mutuellement en hommes de pouvoir. Se prennent au jeu. La campagne présidentielle approche. Une photo compromettante pourrait être utilisée contre un candidat non déclaré. Tout cela n'est que pure fiction. Bien entendu.