Vingt-deux ans après Attache-moi ! , Pedro Almodovar dirige de nouveau Antonio Banderas dans La piel que habito, un thriller du meilleur cru. Le réalisateur d'Étreintes brisées peut-il enfin espérer obtenir le laurier suprême?

Un Almodovar du meilleur cru. Voilà ce qu'est La piel que habito (La peau que j'habite), l'adaptation cinématographique du roman de Thierry Jonquet Mygale. Antonio Banderas, qui retrouve enfin le cinéaste qui l'a révélé au monde dans les années 80, incarne un éminent chirurgien esthétique, spécialisé dans la création d'une nouvelle peau humaine depuis que sa femme a été victime de brûlures dans un accident de voiture. Pour perfectionner sa technique, il trouve un cobaye en la personne d'un jeune homme qu'il soupçonne d'avoir violé sa fille.

Maîtrisé de bout en bout, avec des fils qui rattachent habilement un récit étonnant dont il ne faut rien révéler, La peau que j'habite s'inscrit d'évidence dans la part la plus sombre de l'oeuvre du chantre de la Movida. Un choix que l'auteur cinéaste, qui ne s'est pas souvent attaqué à des adaptations de romans, assume pleinement.

«Ce genre correspond à la période actuelle de ma vie», a longuement expliqué Pedro Almodovar au cours d'une conférence de presse où, en lieu et place d'une traduction simultanée, une interprète devait traduire les propos du cinéaste après chaque réponse. «Au début, j'ai plutôt fait des comédies pop. J'avais maintenant envie d'accéder à d'autres genres cinématographiques, bien que je ne respecte pas strictement les codes. Le thriller permet d'accéder à tous les genres. J'y reviendrai sans doute. Pour La piel que habito, j'ai d'abord pensé aux films de terreur, de même qu'au cinéma des années 40. J'ai même envisagé au début faire le film à la Fritz Lang, muet et en noir et blanc! Finalement, j'ai quand même voulu faire un film personnel. J'ai aussi beaucoup pensé aux Yeux sans visage, un film que je connais par coeur. C'était la seule référence claire et précise que j'avais en tête à vrai dire.»

Une nouvelle réalité

Le cinéaste estime que La peau que j'habite ne pourrait aujourd'hui s'inscrire au rayon des drames fantastiques ou de science-fiction, comme le film de Franju, puisque la réalité a maintenant rattrapé la fiction dans le domaine de la chirurgie esthétique.

«C'est une histoire de survie dans des conditions extrêmes, et ça, c'est aussi l'histoire de l'humanité, a-t-il ajouté. J'ai pensé au mythe de Frankenstein, mais seulement une fois que le film fut terminé. J'ai aussi songé au mythe des Titans et de Prométhée.»

Au coeur de l'histoire, une famille de «fous». La mère du chirurgien, interprétée par la toujours sublime Marisa Paredes, déclare en outre «avoir porté la folie dans ses entrailles».

«Je voulais que ce soit une famille sauvage, qui n'a pas été élevée dans une culture judéo-chrétienne, comme moi je l'ai été, de préciser Almodovar. Je souhaitais qu'elle ait d'autres origines, d'autres racines, car ces gens portent tous en eux une extraordinaire violence. Et une folie. Comme le Brésil possède aussi une grande tradition dans le domaine de la chirurgie esthétique, j'ai donné à la famille une origine brésilienne.»

Si Almodovar a voulu créer un suspense très sombre, il n'était toutefois pas question de tomber dans le sensationnalisme ou le frisson bon marché. «Je ne voulais pas faire du gore, ni offrir un spectacle brutal où le sang dégouline partout!»

La reconnaissance d'Antonio

De son côté, Antonio Banderas semble avoir été très inspiré par ses retrouvailles avec le réalisateur de Matador et de La loi du désir. «C'est une histoire qui reprend 20 ans plus tard, a dit l'acteur. Ce qui est formidable avec Pedro, c'est qu'il te force à réfléchir sur ce qu'est la création. Et tu constates que celle-ci n'est possible que dans un espace où la complaisance n'existe pas. C'est comme un vertige, un sacrifice. Tu deviens très vulnérable et Pedro t'oblige à aller visiter ces zones-là. À sa demande, j'ai travaillé à l'intériorité et à l'économie du personnage. Je le remercie d'ailleurs publiquement de m'avoir entraîné sur un terrain que je ne connaissais pas. Ce personnage de chirurgien ne ressent pas la douleur des autres. Il est incapable d'empathie. Il est d'une froideur absolue. L'idée n'était pas d'horrifier avec des images, mais de faire ressentir le malaise qui s'installe progressivement.»

Ce retour au cinéma espagnol a semblé beaucoup émouvoir l'acteur.

«Revenir à Pedro, c'est d'abord une reconnaissance. Il a compté dans ma vie cinématographique bien sûr, mais aussi dans ma vie avec un grand «V». Aussi, de revenir dans mon pays après 20 ans, avec ses misères et ses grandeurs, retrouver mes racines, ma langue. J'ai le sentiment d'être revenu chez moi. Pedro a fait mon éducation artistique. C'est grâce à lui que j'ai pu faire carrière. Découvrir en même temps sur le plateau une nouvelle génération d'acteurs espagnols est une grande satisfaction. Je sais que le cinéma de mon pays a un bel avenir.»